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le Jeudi 15 juin 2023 11:00 Arts et culture

Être ou ne pas être Hamlet

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  Graphisme : Chantal Lalonde
Graphisme : Chantal Lalonde
FRANCOPRESSE – Plusieurs estiment qu’Hamlet est la meilleure pièce de théâtre écrite par Shakespeare, voire la meilleure de tous les temps. On se calme. Les superlatifs sont toujours suspects. On dit aussi qu’une nouvelle représentation d’Hamlet débute chaque minute dans le monde. On dit. Les preuves manquent. Mais enfin.
Être ou ne pas être Hamlet
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Couverture d’une des premières éditions de Hamlet de 1604. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Au Canada, la pièce Hamlet a aussi la cote. Depuis les débuts du réputé Festival de théâtre de Stratford, en Ontario, qui se tient depuis 70 ans, Hamlet est l’une des quatre tragédies de Shakespeare qui y a été présentée le plus souvent. La dernière fois remonte à 2022.

À Ottawa, Hamlet est la pièce de Shakespeare qui a été produite le plus de fois entre 1867 et 2017, soit 28.

Mais l’incidence d’Hamlet transcende sa popularité comme spectacle. La pièce a joué un rôle majeur dans le développement de la psychanalyse. Nous verrons ça plus loin. D’abord, «rétrovisons».

La première représentation d’Hamlet a lieu en 1602. Elizabeth 1re en est à la dernière année de son long règne de 45 ans comme reine d’Angleterre.

C’est une période d’incertitude politique, car la souveraine, sans enfant, refuse de nommer un successeur. (Finalement, ce sera Jacques VI d’Écosse, fils de Mary Stuart, qu’Elizabeth avait fait exécuter. C’est une autre histoire non moins intéressante…)

La pièce Hamlet, en parallèle, se déroule aussi en plein tourment de succession royale. C’est une histoire assez tordue, comme on les aime. Les gens heureux n’ont pas d’histoire, dit-on.

Portrait du fantôme du père de Hamlet, page couverture d’une édition de la pièce du même nom de 1890. 

Photo : Flickr’s, Wikimedia Commons

L’histoire va comme suit

Une fois c’t’un gars, comprends-tu? Le gars, c’est Hamlet, prince du Danemark. Son père meurt. Il s’appelait Hamlet lui aussi. L’oncle du gars, frère du roi, épouse assez rapidement Gertrude, la veuve, sa belle-sœur, et succède au roi. Il s’appelle Claudius. Claudius, oncle du gars, devient donc aussi son beau-père. Le fantôme du roi décédé apparait au gars (Hamlet fils) et lui révèle que c’est Claudius qui l’a tué en lui versant du poison dans l’oreille pendant qu’il dormait. Le gars prend ça plutôt mal. Son père-fantôme lui demande de le venger. Ouais, pas mal tordu.

Dans la même scène, une sentinelle du château dit : «Il y a quelque chose de pourri dans le royaume du Danemark.» Bien dit. La phrase deviendra célèbre. Ce ne sera pas la seule. Le reste de la trame repose essentiellement sur la difficulté — et surtout les hésitations — qu’aura Hamlet pour exécuter la volonté de son père, notamment en simulant la folie.

Légende scandinave racontée en France

Shakespeare n’a pas inventé le personnage d’Hamlet. Eh non! L’histoire du récit et la façon dont la pièce s’est rendue sur les planches du Globe, le théâtre de Shakespeare, à Londres, est une aventure en soi.

Couverture de l’œuvre Danorum Regum Heroumque Historia, qui a été publiée à Paris en 1514 et qui contient le récit d’où Hamlet est tiré. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

Vers l’an 1200, le moine et historien Saxo Grammaticus (Saxon le Grammairien, signifiant un enseignant de lettres) écrit une œuvre magistrale, La Geste des Danois (Gesta Danorum), des chroniques en 16 tomes de l’histoire médiévale du Danemark et de la mythologie nordique.

L’une de ses chroniques raconte l’histoire du roi Horvendil, assassiné par son frère Fengo. Ce dernier épouse la veuve du roi. Le fils du défunt roi, Amleth (voir ce qui arrive lorsqu’on déplace le «h» de la fin au début), laisse croire qu’il est atteint de folie afin d’avoir la vie sauve. Il finit par tuer l’assassin de son père. Presque un copié-collé non?

Ces éléments et certains autres aspects du récit se retrouveront dans l’Hamlet de Shakespeare.

L’œuvre de Grammaticus est publiée à Paris par un autre auteur danois au début du 16e siècle.

En 1572, le Français François de Belleforest traduit et adapte une partie du récit danois dans ses Histoires tragiques. Sous sa plume, Amleth devient Hamlet. Le texte, qui diffère sur certains points de l’original, prend plus la forme d’un dialogue que ce qu’avait écrit Saxo.

Il est largement attesté que Shakespeare ne connaissait pas les écrits de Saxo Grammaticus, mais qu’il s’est inspiré de la version française, traduite ensuite en anglais.

Hamlet ou la procrastination personnifiée

Si la trame d’Hamlet est célèbre, les longues hésitations du héros qui tarde à accomplir sa mission de tuer son beau-père font, depuis des siècles, l’objet d’études et d’analyses de la part des plus grands penseurs.

Ces derniers se sont notamment demandé pourquoi cette inaction occupe toute la tragédie.

William Shakespeare, génie de la littérature anglaise. 

Photo : Portrait de Martin Droeshout, 1623, Wikimedia Commons, domaine public

C’est ce qu’ils ont appelé l’«énigme Hamlet». Allez, c’est oui ou bien c’est non? Mais, pourquoi cette inaction? Peut-être qu’Hamlet n’avait pas envie de passer à l’acte, c’est tout. Mauvaise réponse.

Mais la vraie réponse était loin d’être simple, et elle ne l’est sans doute toujours pas. L’«énigme» a donné lieu à des hypothèses à n’en plus finir, qui sont souvent contradictoires.

Cette affaire est presque devenue une véritable obsession. En 1948, le grand comédien britannique Laurence Olivier adapte la pièce au grand écran. Le narrateur ouvre le film Hamlet en disant : «Voici la tragédie d’un homme qui ne pouvait se décider à agir.»

Le débat sur les raisons de l’inaction a fait rage particulièrement en Allemagne. L’écrivain Goethe, après avoir longuement étudié la pièce et tenté de résoudre l’énigme, en vient à la conclusion que l’inaction d’Hamlet est liée à son tempérament. Ses facultés intellectuelles très développées l’amènent à examiner toutes les facettes d’un problème.

Bref, Hamlet pense trop. On pourrait sans doute dire la même chose des experts qui ont tenté de décortiquer le personnage.

Sigmund Freud a voulu valider sa théorie du complexe d’Œdipe par le personnage d’Hamlet. 

Photo : Ferdinand Schmutzer, 1926, Wikimedia Commons, domaine public

Freud ira beaucoup plus loin et attaquera le problème sous un autre angle.

Pour lui, Hamlet est la personnification même du complexe d’Œdipe, la théorie que le neurologue autrichien a développée et qui deviendra centrale à la psychanalyse.

Selon Freud, l’inaction d’Hamlet s’explique par ses sentiments amoureux envers sa mère qu’il a refoulés depuis son enfance. Hamlet ne peut se résoudre à tuer l’homme qui a réalisé ce qu’il voulait faire.

Comme Œdipe qui avait résolu l’énigme du Sphinx, Freud résout enfin l’énigme d’Hamlet. L’affaire est ketchup. Être ou ne pas être, dit Hamlet. Il aurait tout à fait pu dire «agir ou ne pas agir».

Ah oui. Finalement, à la toute fin de la pièce, Hamlet reçoit un coup d’épée empoisonnée qui le fera mourir. Mais avant de trépasser, il tue Claudius. Tout est bien qui finit mal.

Type: Récit

Récit: Cet article contient des informations, des opinions et des analyses, toutes basées sur des faits.

Moncton

Marc Poirier

Journaliste

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