le Samedi 19 avril 2025
le Samedi 1 avril 2023 6:30 Chroniques et éditoriaux

Âge de la retraite : entre déni de la réalité et déni de la démocratie

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Manifestation intersyndicale contre le projet de réforme des retraites des salariés du public et du privé.  — Photo : François Goglin-Wikimedia Commons CC-BY-SA
Manifestation intersyndicale contre le projet de réforme des retraites des salariés du public et du privé.
Photo : François Goglin-Wikimedia Commons CC-BY-SA
CHRONIQUE – Depuis plusieurs semaines, la France est secouée par des manifestations violentes autour de la réforme du régime des retraites proposée par le gouvernement Borne. En difficulté au Parlement, la première ministre a dégainé l’article 49.3 de la Constitution française pour passer en force le plan visant à maintenir la viabilité du régime des retraites, ce qui est loin d’avoir calmé la rue.
Âge de la retraite : entre déni de la réalité et déni de la démocratie
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En quoi consiste le régime des retraites en France?

Le système des retraites en France est un legs de la Seconde Guerre mondiale.

En 1945, la France a mis en place la Sécurité sociale et, dans ce cadre, un régime d’assurance vieillesse.

À cette époque, l’âge légal de la retraite était de 65 ans, mais il a été abaissé à 60 ans en 1983.

Le système français de retraite par répartition repose sur la solidarité intergénérationnelle. On peut le qualifier à la fois de régime juste, a priori égalitaire et relativement généreux mettant de l’avant le bien commun. En 1956, le gouvernement français a également mis en place un minimum vieillesse.

Le principe de solidarité intergénérationnelle signifie que les cotisations au régime d’assurance vieillesse versées par les travailleurs actifs servent à payer les retraites des personnes inactives.

Or, si en 1950 il y avait 4 actifs pour 1 retraité, en 2020 il y avait moins de 3 actifs pour 1 retraité. Selon les prévisions de l’OCDE, ce rapport s’établira à 1,8 pour 1 en 2050. Autant dire aujourd’hui, puisque le système repose sur une logique intergénérationnelle.

En 1991, un livre blanc fort important a mis en lumière l’incidence des changements démographiques à venir sur ce système basé sur le principe de répartition. De là découle une première réforme, en 1993, qui fait passer la durée de cotisation pour obtenir une retraite pleine de 37,5 ans à 40 ans.

Cependant, cette réforme ne touchait pas au problème épineux des régimes spéciaux, qui se comptent par dizaines en France.

Ces régimes spéciaux visent notamment certaines catégories professionnelles, telles que les cheminots de la Société nationale des chemins de fer français, les employés de la société Électricité de France et de la Régie autonome des transports parisiens, et les élus.

D’autres réformes ont suivi, comme celle de 2010, qui a reculé à nouveau l’âge de la retraite pour la fixer à 62 ans.

Chaque fois qu’un gouvernement a tenté de modifier en profondeur l’assurance vieillesse afin d’harmoniser les différents régimes et de maintenir le financement du système, la fronde s’est organisée, et les grèves ont habituellement eu raison des grandes ambitions de réforme.

Autrement dit, depuis trois décennies, les gouvernements successifs n’ont pu faire que des réformettes.

Que propose la réforme actuelle?

Depuis sa première élection à la magistrature suprême en 2017, le président Macron s’attèle à une nouvelle réforme qui permettrait de répondre aux besoins du régime.

Sa proposition consiste principalement à faire passer l’âge légal de la retraite de 62 à 64 ans et la durée de cotisation à 43 années. Non pas pour embêter les Français, mais tout simplement parce que la réalité démographique fait en sorte que la pérennité du régime est en jeu à terme.

De la part des syndicats, des manifestants et de la majorité des Français opposés à cette réforme, il y a donc un déni flagrant de la réalité.

La France n’a certainement pas le meilleur système au monde, mais quand on se compare, on se console.

Le système français correspond, régimes spéciaux mis à part, à l’idéal républicain d’égalité et de fraternité. Il mutualise le risque vieillesse. Il réduit considérablement la pauvreté des personnes âgées (4,1% des plus de 75 ans ont un revenu inférieur à 50% de la médiane nationale par comparaison à 16,2% dans les autres pays de l’OCDE).

Il est à bien des égards à l’opposé du régime de pensions du Canada qui repose largement sur un principe de capitalisation individuelle selon lequel plus on est riche, plus on peut mettre de l’argent dans ses REER pour se faire une retraite dorée.

Le régime de base de pensions du Canada permet à peine de vivre au-dessus du seuil de pauvreté, le montant mensuel de la pension de la Sécurité de la vieillesse en 2023 étant de 687,56 $ pour les 65 à 74 ans et de 756,32 $ pour les 75 ans et plus; en France le minimum vieillesse au 1er janvier 2022 était de 916,78 € (soit environ 1 353 $ CA).

Par ailleurs, le Canada ne prend pas en compte le fait d’avoir eu des enfants dans le calcul de la retraite, alors qu’en France, huit trimestres (soit deux ans) de cotisation sont octroyés pour chaque enfant.

Enfin, la plupart des pays de l’OCDE ont un âge de départ à la retraite qui s’établit à 65 ans, voire 67 ans. Il ne semble donc pas complètement aberrant de travailler jusqu’à 64 ans pour conserver un régime qui fait l’envie de plusieurs.

L’impasse démocratique

Cela étant dit, vu ce que ce système représente dans l’imaginaire des Français, une réforme comme celle souhaitée par l’exécutif français exige l’adhésion d’une majorité de la population.

Force est de constater que ce n’est pas le cas.

Il aurait fallu que le gouvernement fasse preuve d’un effort pédagogique soutenu pour convaincre la population française du bienfondé de cette réforme, et notamment du recul de l’âge de départ à la retraite.

On le sait, le président Macron a été «mal élu». Il n’est pas le pire, mais en aucun cas, il n’a recueilli un large appui parmi l’électorat. Son gouvernement est minoritaire à l’Assemblée nationale.

Il aurait donc fallu que Macron prenne le temps de bâtir un consensus politique.

Alors soit, le gouvernement Borne a bien tenté de créer ce consensus, mais il n’est pas facile dans un parlement où rivalisent les discours populistes de trouver des élus qui pensent encore à l’intérêt général.

L’utilisation de l’article 49.3 (qui, pour faire court, permet l’adoption d’un projet de loi sauf si une motion de censure est déposée puis adoptée à la majorité) est une faute politique dont le gouvernement et le président ne se remettront pas.

Mais surtout, le recours à cet article vient enfoncer un peu plus le clou dans le cercueil de la démocratie française, déjà bien malade.

Les Français aiment manifester. C’est un droit sacrosaint dans ce pays depuis 1789, et tant mieux.

Néanmoins, on ne peut que désavouer les saccages de bâtiments publics, les feux de poubelles, les dégradations, tout comme il faut condamner l’usage excessif des forces de maintien de l’ordre.

La sortie d’Emmanuel Macron sur la foule était plus que maladroite et déplacée.

En revanche, oui, il y a danger quand le peuple, le corps citoyen, se transforme en foule. Mais justement, c’est parce que la France n’a jamais été aussi proche du renversement de sa démocratie qu’il est du devoir des responsables politiques de ne pas jeter de l’huile sur le feu et de montrer l’exemple.

Ni Macron ni les partis d’opposition ne semblent comprendre l’urgence qu’il y a à ramener l’ordre, mais surtout à réparer la démocratie, à recréer du lien social, à rebâtir la confiance entre les citoyens et leurs élus.

Le climat délétère qui sévit actuellement est extrêmement inquiétant et on peine de plus en plus à voir comment la France évitera l’arrivée des forces néofascistes au pouvoir lors des prochaines élections.

Notice biographique

Aurélie Lacassagne est politicologue de formation et doyenne des facultés de Sciences humaines et de Philosophie de l’Université Saint-Paul à Ottawa. Elle est membre du Comité de gouvernance du partenariat Voies vers la prospérité.

Type: Opinion

Opinion: Contenu qui avance des idées et qui tire des conclusions fondées sur une interprétation des faits ou des données émanant de l’auteur.

Montréal

Aurélie Lacassagne

Chroniqueuse