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le Mercredi 7 avril 2021 14:44 Société

Aucun vaccin contre l’épidémie de complotisme 

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Selon le chercheur tracadien Gilbert McLaughlin, les crises sont des moments de perte de contrôle et l’humain n’aime pas ça. — Miguel A. Padriñán - Pexels
Selon le chercheur tracadien Gilbert McLaughlin, les crises sont des moments de perte de contrôle et l’humain n’aime pas ça.
Miguel A. Padriñán - Pexels
ACADIE NOUVELLE (Nouveau-Brunswick) – Durant la pandémie, des croyances a priori absurdes ont circulé. Par exemple, celle de l’invention de la COVID-19 par Bill Gates. Le chercheur acadien de l’Université Ontario Tech, Gilbert McLaughlin explique pourquoi.
Aucun vaccin contre l’épidémie de complotisme 
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Acadie Nouvelle : Pourquoi les théories du complot se sont-elles multipliées pendant la pandémie?

Gilbert McLaughlin : Les crises sont des moments de perte de contrôle. Au début de la pandémie, même les gouvernements ne savaient pas ce qui se passait. L’humain n’aime pas ça. Les croyances ont donc rempli un vide. Les crises politiques et sociales sont par ailleurs un moment de polarisation forte. Alors, les extrémismes ont monté, par exemple l’extrême droite et les mouvements antivaccins.

AN : Est-ce que ça signifie que le complotisme a toujours existé?

G. M. : C’est pareil aujourd’hui qu’en 1918, au moment de la grippe espagnole, par exemple… À part internet! Grâce au Web, les théories du complot se partagent beaucoup plus vite, touchent beaucoup plus de gens et se transforment beaucoup plus rapidement. Il faut apprendre à négocier avec la technologie et ce qui m’inquiète, c’est notre capacité d’adaptation. Moi-même, je me laisse encore parfois tromper.

AN : L’Angus Reid Institute note qu’en janvier, un habitant sur cinq au Canada atlantique refusait de se faire vacciner contre la COVID-19 ou n’était pas sûr d’accepter. Pourquoi?

Nous avons tous un certain degré de confiance envers les institutions, pour différentes causes psychologiques et sociologiques. Les humains sont aussi très mauvais pour évaluer les risques. Nous avons tendance à les surévaluer, surtout quand il y en a peu. Je crois que le vaccin d’AstraZeneca a subi ce biais, par exemple.

— Gilbert McLaughlin, chercheur au Centre of hate, bias and extremism de l’Université Ontario tech

AN : Pourtant, le gouvernement du Nouveau-Brunswick a pris la décision de suspendre l’utilisation du vaccin AstraZeneca pour les personnes de moins de 55 ans…

G. M. : Je ne suis pas médecin ni expert des vaccins. Toutefois, la Santé publique ne cherche pas seulement la solution idéale pour maitriser la COVID-19, mais aussi à maintenir la confiance des gens dans ses politiques.

AN : Pourquoi cette importance de la confiance dans les institutions?

G. M. : Tous les humains ont des croyances. Nous n’avons pas le choix! Nous ne pouvons pas vérifier nous-mêmes chaque information. Moi, par exemple, je n’ai pas besoin d’aller lire les études sur les vaccins pour faire confiance à Santé Canada.

AN : Pourtant, les complots existent.

G. M. : Les complots existent, mais sont extrêmement rares! En fait, une théorie du complot est louche quand elle s’explique par une seule cause : «la Chine a créé le nouveau pour déstabiliser le monde», par exemple. La réalité est souvent beaucoup plus complexe, beaucoup plus nuancée, mettant en jeu des intérêts multiples. En recherche universitaire, quand on trouve trois ou quatre causes qui expliquent 30 % d’un phénomène, on est assez content!

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AN : Malheureusement, le philosophe des sciences Étienne Klein a avancé que les humains ont tendance à moins croire à un discours nuancé…

G. M. : Quand je donne une conférence, parfois quelqu’un clame l’inverse de ce que j’expose en étant ultra catégorique et m’amène à vérifier ce que je sais déjà, parce que je ne parlerais jamais en étant aussi sûr de moi. De même, l’humain a une tendance naturelle à adhérer davantage à un témoignage qu’à un article scientifique, à cause de l’effet émotionnel.

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AN : Pourtant, M. Klein décrit les complotistes comme des personnes hyperrationnelles!

G. M. : Les gens qui ont une croyance profonde sont plus rationnels que la moyenne, dans le sens où ils font beaucoup d’efforts pour comprendre des arguments, en passant du temps sur internet. Le problème, c’est qu’ils ne le font pas selon les plus hauts standards des règles logiques. En outre, personne ne peut les contredire dans leur quotidien, parce que personne ne prend autant d’heures qu’eux à étudier leur croyance. Et ça les conforte…

AN : Les complotistes ont aussi beau jeu de remarquer que les découvertes scientifiques récentes sont souvent réfutées…

G. M. : L’erreur est incluse dans le protocole scientifique et c’est pour ça que c’est un puissant outil! Nous nous vérifions et lorsque nous nous trompons, nous modifions nos connaissances et nous avançons. À partir d’un moment, nous parvenons à contourner la subjectivité humaine par un consensus scientifique. Mais ça veut dire que pendant un certain temps des articles présentent des informations erronées. Au contraire, les théories du complot sont irréfutables…

AN : Comme lorsqu’un croyant fait valoir que les scientifiques n’ont pas la preuve de l’inexistence des fantômes, alors que ce serait à lui de prouver que les fantômes existent, de façon extrêmement convaincante, c’est ça?

G. M. : C’est un très bon exemple, parce que le croyant n’y est pas irrationnel. Dans notre système scientifique, on a cependant statué que la façon la plus solide de procéder était de demander à celui qui affirme quelque chose de le démontrer. C’est ce qui nous a permis de nous passer de l’explication religieuse des phénomènes.

AN : Affirmer que les fantômes existent est peut-être vrai, alors?

G. M. : Nous devrions arrêter de parler de vrai et de faux et préférer qualifier un énoncé de probablement vrai ou de probablement faux. Il y a aussi tout un effort à faire pour apprendre à reconstruire nos croyances sur des bases solides et factuelles. C’est pourquoi j’aimerais introduire en Acadie le mouvement zététique, qui vise à enseigner les principes les plus hauts de la rationalité. Par exemple, «une affirmation extraordinaire demande une explication extraordinaire.»

AN : La zététique nous sauvera-t-elle du complotisme?

G. M. : On ne sait vraiment pas si on va pouvoir gagner ce combat. Les personnes convaincues se sentent très insultées quand on attaque leur croyance, car on attaque alors leur identité. On ne peut donc plus discuter avec elles. On peut toutefois essayer de rester leur ami, pour apporter une dissonance dans leur univers. Après un bout, il faut appeler le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence de Montréal. Cependant, l’expérience des centres de déradicalisation n’a pas vraiment fonctionné. On ne peut pas rentrer dans le cerveau de quelqu’un. Et heureusement, peut-être!