C’est ce qu’on appelle un anniversaire en berne : en raison de la pandémie du coronavirus qui s’étend à travers le monde, le coup d’envoi des manifestations visant à célébrer les 50 ans de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) est annulé.
Les festivités devaient se dérouler à Niamey, dans la capitale du Niger, là même où fut signée une convention qui deviendrait l’acte de naissance de cette organisation dédiée à la langue française et plus largement à la Francophonie. C’était en 1960.

Une ambassadrice controversée
La COVID-19 n’est visiblement pas la seule explication des tensions qui règnent au sein de l’OIF. Il semblerait que l’entrée en fonction le 3 janvier 2019 de la nouvelle secrétaire générale de l’organisme, la Rwandaise Louise Mushikiwabo, fasse aussi grincer des dents.
Celle qui a pris la tête d’une structure visant à promouvoir la langue française n’en serait pas la meilleure ambassadrice selon de nombreux experts.
Louise Mushikiwabo est largement identifiée au gouvernement rwandais, dont le régime défie certains principes fondateurs de la Francophonie, notamment le respect des droits de la personne. C’est aussi un pays qui a remplacé le français par l’anglais comme langue obligatoire à l’école, qui en a fait sa langue officielle, et qui a adhéré au Commonwealth.
De son côté, Louise Mushikiwabo n’y voit aucune contradiction : «[L’anglais], c’est aujourd’hui la langue de la Silicon Valley, de la technologie, de la recherche, des réseaux sociaux. C’est une réalité et, par ailleurs, l’essentiel de l’activité économique du Rwanda se fait avec l’Afrique de l’Est», expliquait-elle au journal français Le Monde peu après sa nomination.

Une mission claire
Pourtant, l’OIF (qui fut d’abord l’Agence de coopération culturelle et technique) s’assigne depuis toujours une mission claire : promouvoir le français et développer des liens et des intérêts communs entre les pays qui partagent la langue de Molière.
C’est toute la philosophie prônée au début des années 60 au Niger. À l’époque, l’homme politique nigérien Hamani Diori, premier président de la République du Niger (1960-1974), le Sénégalais Léopold Sedar Senghor, le Tunisien Habib Bourguiba et le Cambodgien Norodom Sianouk défendent une Francophonie politique et institutionnelle.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, dans un monde chaotique, cette conscience francophone existe, mais elle est avant tout l’apanage des intellectuels.
Senghor, l’ancien président du Sénégal, lui, va plus loin : pilier de cette idée contemporaine de la Francophonie, Senghor entrevoyait le français comme un point commun entre une multitude de peuples différents.
Cette idée trouve de l’écho auprès des locuteurs français, qui sentent l’ombre du géant américain, et de l’anglais, gagner du terrain.

50 ans de changements
Ainsi, le 20 mars 1960, les représentants de 21 États et gouvernements signent une Convention portant création de l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT). À l’origine, la coopération entre les différents pays est avant tout éducative et culturelle.
Mais l’organisation prend une nouvelle dimension politique en 1984, sous l’impulsion du président français François Mitterrand : il organise le premier Sommet de la Francophonie en 1986 à Versailles, en France, auquel 42 États et gouvernements participent
Ils y déterminent quatre domaines de coopération multilatérale : le développement, les industries de la culture et de la communication, les industries de la langue ainsi que le développement technologique couplé à la recherche et à l’information scientifique.
En 2005, l’ACCT devient Organisation internationale de la Francophonie et représente 300 millions de personnes dans le monde. Elle regroupe 88 États et gouvernements ayant la langue française (5e langue mondiale actuellement) en commun et devant affronter un même défi : maintenir la langue française à flot, et cibler ses efforts sur l’enseignement français.
Pas si facile dans un monde en perpétuelle évolution, avec une structure qui semble de plus en plus géopolitisée et des budgets en baisse; en effet, la France, premier contributeur de l’OIF, a sensiblement baissé les subventions des Alliances françaises et réduit la voilure budgétaire des établissements d’enseignement du français à l’étranger.
Or, même Louise Mushikiwabo en convient : «La seule façon de maintenir le français, c’est de l’enseigner de façon substantielle sur le continent africain.»
Coronavirus ou pas, ce sont des bougies semées de désillusion qui risquent de marquer les 50 ans de l’Organisation internationale de la Francophonie.
Et le Canada dans tout ça?
Le pays compte quatre sièges au sein de l’OIF : en plus de la représentation fédérale, la province du Nouveau-Brunswick et la province de Québec en sont membres à part entière, et la province de l’Ontario y a un statut d’observateur.
Chaque année, le Canada contribue à hauteur de 40 millions de dollars au fonctionnement de cette institution.
Le pays se remet d’un coup dur alors que l’ancienne secrétaire générale de l’OIF, la diplomate canadienne d’origine haïtienne Michaëlle Jean, s’est représentée à sa succession, mais a été vaincue par Louise Mushikiwabo.