L’agrégateur de sondages fivethirtyeight.com évalue la probabilité d’une réélection de Donald Trump à la présidence des États-Unis à 12 %, contre 88 % pour son rival démocrate, Joe Biden.
«Les projections ne sont vraiment pas du tout dans ce sens-là [une réélection] depuis deux semaines au moins», selon Charles-Philippe David, président de l’Observatoire sur les États-Unis à la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM.
Tout n’est pas joué cependant selon Stephen Saideman, de l’École d’affaires internationales de l’Université Carleton : «Il y a une petite probabilité que Trump soit capable d’obtenir que la Cour suprême arrête le décompte des votes à un certain point. Et si ça se produisait, on pourrait avoir comme résultat une victoire [de Donald Trump].»

La principale menace se trouve à l’intérieur
Si l’élection est contestée, selon Charles-Philippe David, il faut prendre au sérieux la menace de violence de la part de groupes d’extrême droite.
Il rappelle d’ailleurs que le président Trump a interpelé les Proud boys [un groupe de suprémacistes blancs, NDLR] lors du premier débat présidentiel, leur disant de se tenir prêts : «Stand by and stand back».
«Donc oui, la menace est élevée, parce que le président des États-Unis les encourage à croire, les légitime en leur disant que leur action sera peut-être requise» dans l’élection présidentielle, ajoute Charles-Philippe David.
Le politologue Stephen Saideman évalue que le risque de violence organisée par des groupes d’extrême droite «approche 100 %», peu importe l’issue de l’élection.
Je dirais que ce seront des incidents isolés, mais je pense qu’il y aura de la violence […] Je crois que vous allez voir des attaques sur les médias, que des manifestations deviendront violentes, qu’il y aura des actes terroristes à divers endroits. Il y aura de la violence, parce que peu importe comment Trump quitte la scène [politique], ses partisans s’impliqueront dans la violence.
Pour Charles-Philippe David, les groupes suprémacistes blancs «représentent la principale menace terroriste aux États-Unis, alors que pendant des années et des années, on a fait croire aux gens que c’était les groupes terroristes islamistes qui étaient la plus grande menace pour les Américains. C’est faux, c’est complètement faux! Ces groupes suprémacistes […] sont encouragés et alimentés par un discours “trumpien”, effectivement, qui leur donne vraiment carte blanche pour agir.»
Des actes de violence pourraient survenir pendant la session Lame duck, la période qui s’étend entre l’élection présidentielle de novembre et l’inauguration du nouveau président, en janvier.
Stephen Saideman ajoute qu’une violence contenue aux États-Unis n’exclut pas des incidents isolés au Canada.
Il y a QAnon [un groupe conspirationniste d’extrême droite, NDLR] au Canada, il y a des suprémacistes blancs au Canada […], mais je ne crois pas qu’il se passe beaucoup de choses au Canada, et s’il y a des incidents, ce seront des cas isolés.
En conférence de presse, il y a quelques semaines, le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, semblait reconnaitre cette possibilité : «Nous tous espérons certainement une transition en douceur ou un résultat clair de l’élection […] Si c’est moins clair, il pourrait y avoir certaines perturbations et nous devons être prêts, quel que soit le résultat.»
Un second mandat «catastrophique»
Un second mandat de Donald Trump, selon Charles-Philippe David, «serait catastrophique pour les relations internationales».

«Je pense qu’on assisterait à un recul définitif des relations internationales, un recul irrémédiable ; pour le système d’alliances, pour le système diplomatique, pour les démocraties, pour la survie des démocraties et pour le maintien d’une certaine sécurité, donc d’une stabilité, dans les rapports internationaux, notamment entre les grandes puissances», indique-t-il.
Pour Stephanie Golob, professeure au Département de sciences politiques de Baruch College, City University of New York, un second mandat de Donald Trump ramènerait «davantage de l’incertitude et de la volatilité que nous avons vues dans la première administration Trump. Donc la relation spéciale [entre le Canada et les États-Unis], les consultations, la diplomatie discrète, tout cela serait à jeter par la fenêtre.»

La position du Canada, dans l’éventualité où Donald Trump demeure au pouvoir en employant des moyens extralégaux, s’avèrerait délicate, selon Stephanie Golob, particulièrement en raison de l’interdépendance économique entre les deux pays.
De plus, ajoute-t-elle, il y a beaucoup de Canadiens qui vivent aux États-Unis, alors que beaucoup d’Américains pourraient vouloir quitter le pays si Donald Trump reste au pouvoir par des moyens non démocratiques.
Une éventualité qui placerait le Canada sera dans une position très inconfortable, fait remarquer Stephan Saideman.
«La politique étrangère des États-Unis va devenir plus hostile pour les intérêts canadiens parce que ce que Trump a fait dans les quatre dernières années va devenir plus intense dans les quatre prochaines années. Donc on devrait s’attendre à plus de guerres commerciales, plus de frictions […] ça voudra probablement dire la fin de l’OTAN», précise le professeur de l’École d’affaires internationales de l’Université Carleton.
Ce sera d’autant plus vrai puisqu’il y aura des pressions sur Justin Trudeau pour dénoncer la situation aux États-Unis, ce qui augmentera d’autant plus les tensions entre les deux pays, avance encore le professeur Saideman.
Quatre ans de relations mises à mal
«On a été en mesure d’éviter le pire, selon Charles-Philippe David de la Chaire Raoul-Dandurand. Tout ce qu’on craignait en 2017 n’est pas survenu. Et c’est dû à un nombre de raisons, dont la gestion absolument exemplaire du premier ministre du Canada de la relation Canada–États-Unis.»
Pour Stephen Saideman, l’administration Trump «a mis la relation commerciale du Canada [avec les États-Unis] dans une position précaire, avec la demande de renégocier l’ALENA et l’imposition de tarifs sur l’aluminium canadien.»
À lire aussi : L’aluminium, le matériau de construction d’une élection présidentielle
Philippe Fournier, chercheur postdoctoral au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM), souligne qu’en utilisant des dispositions liées à la sécurité nationale pour imposer des tarifs sur l’aluminium canadien, l’administration Trump brisait une norme diplomatique.
Ce que ça montre, c’est que Donald Trump utilise tous les moyens à sa disposition, incluant la menace, pour faire plier à la fois les alliés et les ennemis. Il y a cette leçon-là selon laquelle un allié n’est pas nécessairement un allié dans la mesure où on peut extraire, à la manière d’une négociation d’affaires, le maximum de concessions, même d’un pays qu’on considère comme étant proche.

Stephen Saideman ajoute que l’administration républicaine «a créé beaucoup d’incertitude au sujet de l’OTAN, parce que Trump est plus préoccupé par son incompréhension du financement de l’OTAN que par son rôle dans le monde […] et il a créé beaucoup d’incertitude à propos de l’ordre libéral [international] sur lequel le Canada dépendait au cours des 70 dernières années.»
Stephanie Golob, du Département de sciences politiques de Baruch College, explique que l’administration Trump «a déjà remis en question plusieurs engagements, du côté étatsunien, qui étaient tenus pour acquis [par la communauté internationale]» et qui faisaient consensus d’une administration à l’autre.
«L’imprévisibilité en politique étrangère est un legs de l’administration Trump. On ne peut plus considérer les États-Unis comme un partenaire fiable», ajoute le chercheur Philippe Fournier.
«Si ce n’est que quatre ans, ça va, conclut Charles-Philippe David, s’il s’agit de huit ans, ce sera une tout autre histoire.»