L’annonce du budget du gouvernement de Mark Carney n’a pas changé grand-chose, amorce Emmanuelle Billaux, directrice générale chez Actions Femmes Île-du-Prince-Édouard.
Quelques jours avant le dépôt du budget, plus de 660 millions de dollars sur cinq ans ont été annoncés pour le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres (FEGC). «C’est plus gros que ce qui était annoncé avant les coupures – mais c’est plus petit que ce qu’on avait sur les dernières années», dit-elle.
Selon l’Union culturelle des Franco-Ontariennes (UCFO), cette enveloppe équivaut à 120 millions de dollars par année, contre 427 millions l’année précédente. Soit une réduction de 72 %.
Pas de lentille francophone
Surtout, ce qui nous garde dans la crainte, c’est qu’il n’y a aucune mention des femmes francophones dans le budget, il n’y a aucune target spécifique pour la minorité linguistique.
La directrice générale de l’Alliance des femmes de la francophonie canadienne (AFFC), Soukaina Boutiyeb, abonde dans le même sens : «Il y a eu un manque d’explication sur comment ce budget serait associé par rapport à la francophonie canadienne.»
L’AFFC discute actuellement avec Ottawa, «mais à l’heure où on parle, rien ne nous garantit que justement des financements seront accordés aux organisations de femmes de la francophonie canadienne», statue-t-elle.
L’UCFO craint une baisse des services et des programmes de soutien pour les femmes vivant de la violence et un affaiblissement du tissu associatif rural.
Pour Sylvie Gravelle de l’UCFO, le gouvernement fédéral ne prend pas en compte les besoins des minorités linguistiques.
«On a toujours des isolements linguistiques dans nos villages. Quand on est rural, on a déjà des services qui ne sont plus là, puis les dames sont inquiètes que les services soient encore coupés, rapporte la présidente de l’organisme, Sylvie Gravelle. Elles ont l’impression d’être des citoyennes de seconde zone.»
La responsable trouve que le fédéral oublie les femmes et les francophones. «S’ils veulent avoir un Canada fort, c’est un pays où les femmes francophones vivent en sécurité […] Ce sont nos subventions qui peuvent aider ça, on ne veut pas devenir invisibles. On ne veut pas perdre notre langue.»
«Le gouvernement du Canada est déterminé à soutenir les femmes partout au pays, y compris dans les communautés francophones», assure le ministère FEGC dans un courriel à Francopresse.
Il rappelle que le gouvernement du Canada applique l’Analyse comparative entre les sexes plus pour s’assurer que ses programmes et initiatives tiennent compte de la diversité des identités et des contextes, y compris des communautés francophones.
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«On est résilientes»
«Malgré les discours sur la vitalité du français et les promesses en matière d’immigration francophone, aucune mesure concrète n’est prévue pour renforcer les services en français dans les régions où les besoins sont criants», dénonce encore l’UCFO dans un communiqué.
L’organisme demande une ventilation annuelle transparente des montants annoncés, le maintien des budgets opérationnels accordés aux programmes d’égalité et aux organismes communautaires et un fonds protégé pour les services en français en milieu minoritaire.
«On est inquiètes, mais en même temps, on est résilientes, témoigne de son côté Emmanuelle Billaux. Depuis le début de l’été, je cherche des fonds pour l’année prochaine ailleurs qu’à FEGC tant que je ne sais pas quel est le projet applicable.»
Car pour avoir accès aux subventions, encore faut-il rentrer dans les bonnes cases.
Les femmes francophones, ce n’est pas un groupe homogène; c’est une petite partie de femmes en situation de handicap, une petite partie racialisée, une partie immigrante. Déposer un projet pour recevoir peut-être 5, 7, 8000 dollars, finalement, ça ne prend pas en compte le reste de nos femmes. Ce n’est vraiment pas assez.
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Changer de modèle de financement
C’est pourquoi Actions Femmes I.P.É plaide pour un financement de base. «Le problème des projets, on le sait, c’est que c’est chronophage, c’est de nouvelles idées qu’on doit réinventer et qui ne peuvent pas être réutilisées», détaille Emmanuelle Billaux.
On ne sait pas si nos projets vont être renouvelés ou si les nouveaux vont être acceptés. Donc de la période de février à avril, je ne peux pas garantir un emploi à mon personnel comme à moi.
«On a l’impression que le gouvernement ne nous entend pas depuis des années quand on leur explique qu’on a besoin d’un financement de base qui garantit un minimum vital», soupire la responsable.
Cela fait deux ans que l’organisme travaille sur une diversification financière, notamment pour ne pas être à la merci des changements politiques.
«On sait très bien qu’au moment des élections, il faudra probablement aller chercher des sous ailleurs et on ne peut pas, dans un avenir proche et éloigné, être financé que par le gouvernement. On voit bien que ça ne fonctionne pas. Pour un mouvement féministe minoritaire, c’est trop de chance de ne pas avoir de financement d’une année sur l’autre.»
L’union fait la force
«Quand on ne donne pas des ressources aux femmes, concrètement sur terrain, ça veut dire qu’on enlève la voix aux femmes», prévient Soukaina Boutiyeb.
«La réalité sur le terrain, c’est que certaines organisations de femmes francophones canadiennes sont en mode de survie, confirme Soukaina Boutiyeb. Elles travaillent sur un essoufflement des bénévoles.»
Pour elle, l’idéal est d’avoir deux types de financement : un à projet pour répondre à des besoins particuliers et un de base, afin d’apporter des changements systémiques.
Créer des partenariats avec d’autres organismes fait également partie de la solution. Emmanuelle Billaux cite en ce sens le rôle de l’AFFC. «Je n’ai pas l’impression de me battre toute seule contre Ottawa.» Actions Femmes I.P.É et les autres associations féministes de la province se serrent aussi les coudes.
La pétition lancée par l’AFFC à la veille du budget pour mobiliser la population canadienne a récolté plus de 900 signatures. «On a été très contentes de voir l’appui qu’on a reçu», signale Soukaina Boutiyeb.
