On les appelle Chicots, Bois-Brûlés, Magouas ou Barrios : ils appartiennent à des communautés métisses qui se seraient formées aux débuts de la colonisation, en Acadie et en Nouvelle-France, loin des Plaines où on confine généralement les Métis. Leurs cultures se sont construites et d’éléments autochtones et d’éléments européens. Cependant, écrit Michaux, « leur sentiment identitaire ne s’inscrit pas dans le cadre des communautés ethniques métisses clairement identifiables dans l’histoire, et les orientations normatives d’évaluation établies par l’État ne favorisent pas leur reconnaissance ».
L’arrêt Powley
Ces orientations normatives, ce sont les critères juridiques de la métissité établis en 2003 par la Cour suprême du Canada lors de l’arrêt Powley. Parmi ceux-ci, outre l’ascendance mixte, il est précisé qu’une communauté métisse, si elle veut revendiquer des droits autochtones, doit être historique, c’est-à-dire avoir occupé un territoire donné avant que la Couronne ne prenne le contrôle de la région non colonisée.
Or, avoir des racines amérindiennes, c’était s’exposer au racisme de la société dominante et elles ont été tues jusque dans une grande part des archives. Et, malgré de nombreuses tentatives en Cour, aucune communauté métisse, ni au Québec ni au Nouveau-Brunswick, n’a réussi à prouver en cour l’historicité de son établissement.
Le test Powley est-il adéquat ? Oui, croit Denis Gagnon, directeur de la chaire de recherche du Canada sur l’identité métisse, basée à l’Université de Saint-Boniface : « Sauf pour un seul point : il ne tient pas compte de la tradition orale, et comme on a peu écrit sur les communautés métisses marginales, les archives font souvent défaut à leur sujet. »
La reconnaissance viendra-t-elle en 2017 ?
L’Association des Acadiens-Métis-Souriquois est basée en Nouvelle-Écosse. Son président, Joseph Jacquard, affirme que son organisme étudie l’idée de demander sa reconnaissance en justice, mais refuse d’en dévoiler davantage. En attendant, il cherche à ce que la province reconnaisse aux Métis des droits ancestraux. « Il y aura une consultation provinciale sur la chasse et la pêche et on veut siéger dessus. »
Envers et contre tous
Absence d’archives, fardeau de la preuve, là ne s’arrêtent pas les difficultés des Métis de l’Est. Leur existence est généralement niée, avance Michaux, par les organisations métisses de l’Ouest comme le Ralliement national des Métis pour des questions pécuniaires et linguistiques. « Les “vrais” Métis de l’Ouest, écrit-il, lesquels évacuent leurs origines canadiennes-françaises de leur discours, revendiquent pour eux seuls l’identité métisse. » Pour l’anthropologue d’ailleurs, son ouvrage touche les recherches sur les communautés francophones minoritaires.
Malgré les embûches, les organisations disant représenter les Métis se sont multipliées au Québec et dans les Maritimes depuis l’arrêt Powley. L’anthropologue Claude Gélinas a témoigné comme expert en Cour d’appel du Québec lors de la cause Corneau « L’autoidentification comme Métis, analyse-t-il, est parfois opportuniste, parfois la réponse à un questionnement identitaire. »
Par-delà cette réponse, il reconnaît l’existence de communautés métisses dans l’Est d’un point de vue anthropologique, à défaut de preuve de leur historicité.
Qui sont les Métis ? Les réponses varient selon les analyses, les époques… et les Métis. C’est une des richesses de l’essai d’Emmanuel Michaux de faire état de ces multiplicités, et de rendre compte de l’évolution des rapports entre les différentes cultures qui forment le Canada.