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le Mardi 31 mars 2020 11:25 Société

Travailler, la peur au ventre

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Les rues de Charlottetown sont pratiquement vides, mais certains services essentiels roulent encore.  — Marine Ernoult
Les rues de Charlottetown sont pratiquement vides, mais certains services essentiels roulent encore. 
Marine Ernoult
À l’Île-du-Prince-Édouard, ils sont caissiers, employés à l’aéroport ou dans une maison de retraite. Ils ne peuvent pas faire de télétravail et racontent leur vie pendant la pandémie de la COVID-19.
Travailler, la peur au ventre
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Derrière sa caisse, Usman* reste fidèle au poste. Depuis le début de la pandémie de la COVID-19, il n’a pas arrêté son travail de caissier dans un supermarché de Charlottetown. «Tous les jours, je ressens de la peur, de l’angoisse, je suis stressé», confie-t-il. Peur d’aller au travail, angoisse de contracter le virus, stress d’être en contact avec des centaines de clients.

Ce qu’Usman craint plus que tout, ce sont les périodes achalandées chaque fin de semaine, «le monde qui se précipite à la caisse». «C’est dur alors de faire respecter la distanciation sociale», raconte-t-il.

C’est un sujet de discussion constant avec les responsables du magasin, assure le caissier. Pour protéger les employés, la direction a pris des mesures préventives et livre des conseils d’hygiène. Les gants sont obligatoires, du gel désinfectant est à disposition, des lignes marquent au sol l’espacement obligatoire de deux mètres entre chaque charriot et, toutes les vingt minutes, une voix réexplique au micro les principes de la distanciation sociale. «C’est insuffisant», regrette Usman. Masques et vitre de protection en plastique manquent encore.

Gants et masque, rituel quotidien

La contamination, Aya* y pense, mais elle ne veut pas communiquer son angoisse aux personnes âgées dont elle s’occupe. «Je me dois de rester calme», insiste-t-elle. Entre les murs de la maison de retraite où elle travaille, elle se sent «100 % en sécurité».

On est parfaitement formés, on sait comment se protéger.

— Aya, employée d'une maison de retraite

Chaque jour, en arrivant sur son lieu de travail, c’est le même rituel. Avant de pénétrer dans le bâtiment, elle enfile gants et masque, puis quelqu’un prend sa température. «Si on a le moindre symptôme, on est renvoyé à la maison en isolement», assure Aya.

Une fois à l’intérieur, elle se désinfecte les mains avant de rentrer dans chaque chambre, pareil à la sortie. Le seul risque, aux yeux de la jeune femme, c’est le personnel soignant : «Il faut qu’on respecte tous la distanciation sociale en dehors des heures de travail.

Parvati*, elle, se sent protégée. Dans la station-service où elle travaille, elle estime que ses patrons ont pris «les bonnes mesures de sécurité».

Elle porte des gants et le fameux masque tant convoité. Seulement cinq personnes sont autorisées à rentrer en même temps dans la boutique. «Je ne suis pas angoissée et les clients sont respectueux», affirme la caissière.

Couleur - Pixabay

Craindre de perdre son emploi

À l’aéroport de Charlottetown, en revanche, Samuel* va travailler la peur au ventre. «On met notre vie en danger chaque jour», témoigne l’employé, terrifié à l’idée de «ramener le virus à la maison». Ici aussi, le personnel a des gants et du gel désinfectant, mais aucun masque. «Ils nous disent que ce n’est pas nécessaire, qu’ils suivent les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé», détaille Samuel, sceptique.

Avec ses collèges, il a été formé aux règles d’hygiène et aux mesures de distanciation sociale. «Mais c’est difficile à respecter lors des fouilles corporelles, réagit Samuel. On fait de notre mieux pour se protéger, on essaye de toucher le moins possible les passagers.» Avant d’ajouter : «Heureusement, la plupart du temps, ils sont coopératifs».

Cesser de travailler? Impossible. «J’aimerais rester à la maison, mais financièrement, je ne peux pas», explique Samuel, qui aimerait que son travail et celui de ses collègues soient reconnus comme «essentiels» pour bénéficier de primes. «On contribue aussi à l’effort pour que le pays continue à avancer», souligne-t-il, meurtri.

Surtout que maintenant l’aéroport se vide. «C’est étrange, le silence, on dirait un lieu fantôme», décrit Samuel. Selon l’employé, la fréquentation a été divisée par dix en deux semaines. Avant la crise, il travaillait jusqu’à 45 heures par semaine, aujourd’hui il n’en fait pas plus de 24. «C’est en chute libre, ce matin un vol est parti avec un seul passager», rapporte-t-il.

Se sent-il plus rassuré dans un aéroport dépeuplé? Il est clair que non. Car ce qui l’inquiète avant tout, c’est de perdre son travail si l’aéroport ferme complètement ses portes.

*Tous les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes interrogées.