Organisé par le Consortium des médias communautaires de langues officielles en situation minoritaire, le Forum Voix locales, qui s’est déroulé à Ottawa les 11 et 12 septembre, a réuni les médias écrits et les radios membres de Réseau.Presse, de l’Alliance des radios communautaires du Canada, de Quebec Community Newspapers Association et du English-Language Arts Network.
En compagnie de personnes représentant le gouvernement ainsi les milieux associatif et universitaire, les participants ont analysé les constats du Livre blanc : Vérités, défis, occasions à saisir et pistes d’avenir – qui comprend un sondage et une autoévaluation –, pour réfléchir à l’avenir de ces médias et établir une liste de priorités.

«On a des réalités similaires avec les autres associations [de médias de langue minoritaire], c’est certain. C’est pour ça que le Consortium a été créé. Donc, on est très fiers de pouvoir faire front commun par rapport à ces besoins-là», dit Maryne Dumaine.
«Je pense que c’est un bon début de conversation», affirme la présidente de Réseau.Presse*, Maryne Dumaine. «Ça reprend déjà beaucoup des considérations qu’on avait. Donc, ça formalise beaucoup nos revendications, nos enjeux. [Le Livre blanc] va être un bon outil quand on aura fini de peaufiner notre plan d’action.»
En lisant le Livre blanc, la professeure émérite à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa, Linda Cardinal, dit avoir ressenti l’urgence d’agir pour sauvegarder les médias communautaires de langues officielles en situation minoritaire (MCLOSM).
Le petit nombre de journalistes par médias – souvent un seul – reste particulièrement inquiétant selon elle : «On leur demande de jouer un rôle de chef d’orchestre.»
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Un rôle fondamental
Linda Cardinal fait remarquer que les médias communautaires ont un rôle à jouer dans l’écosystème des médias au Canada. «Ce rôle-là doit être appuyé de façon à ce qu’ils puissent jouer leur rôle niche.»

Pour Francis Sonier, le portrait dressé par le Livre blanc arrive à point nommé, après plusieurs années de questionnement.
Le Livre blanc rappelle qu’ils sont essentiels à la vitalité des communautés de langue minoritaire et pour la démocratie. Cette fonction devra être mieux définie, dit Linda Cardinal, et communiquée aux communautés linguistiques pour qu’elles comprennent pourquoi elles ont besoin de leurs médias.
Le milieu associatif et les communautés devront aussi s’engager. Selon l’éditeur-directeur général chez Acadie Nouvelle, Francis Sonier, cet appui – qui a toujours été important – n’a jamais été aussi bien souligné à grands traits que dans ce document. «Je crois sincèrement que c’est là que ça peut faire une différence» pour les médias, indique-t-il.
Frédéric Dupré, le directeur général de la Coopérative des publications fransaskoises, qui publie le journal L’Eau vive, est heureux que le Livre blanc ramène à la surface la relation tendue qu’il peut exister entre un média et la collectivité qu’il couvre.
«Ça, c’était important, parce que la relation avec nos communautés est fondamentale en termes de modèle d’affaires, elle est fondamentale en termes de contenu – qui est au cœur de notre mandat journalistique –, mais on se retrouve dans des situations de dépendance à leur égard.»

Delphine Petitjean aurait aimé voir plus de jeunes au Forum Voix locales, pour profiter davantage de leur point de vue.
Pour Delphine Petitjean, journaliste et cofondatrice du média en ligne On a le choix, à Cornwall, en Ontario, trouver «l’équilibre entre le courage et la bienveillance» dans la relation entre les communautés et les médias sera la clé pour relever plusieurs défis. Selon elle, il faut à la fois défendre les droits des communautés de langue minoritaire et mettre en lumière leurs problèmes.
Investir chez nous
Si les gouvernements avaient continué à investir localement, les médias ne seraient pas dans cette mauvaise situation, affirme de son côté le directeur de Radio Beauséjour et du journal Le Moniteur Acadien, Jason Ouellette.

Propriétaire d’une radio communautaire et d’un journal au Nouveau-Brunswick, Jason Ouellette considère que le Livre blanc sur les MCLOSM est assez général pour représenter les besoins des deux types de médias.
«On encourage la consommation locale, mais ils ne consomment pas local. Ils vont utiliser des plateformes internationales dont les revenus et profits vont dans d’autres pays. Nous, on serait mal vu de faire la même chose avec l’argent du public, des contribuables», poursuit-il.
«Ce n’est pas tout le monde qui investit dans le journal, c’est une tragédie», renchérit Frédéric Dupré de L’Eau vive.
Arriver à survivre sans subvention n’est pas simple pour les MCLOSM, puisque le Livre blanc souligne que «les retombées financières demeurent insuffisantes pour que les canaux numériques assurent une source de revenus viable».
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Nicolas Servel voit venir d’autres défis pour les MCLOSM alors que le Canada «entre en période d’austérité ou de stagnation».
Les pistes de solutions
La présence d’autres secteurs que la presse écrite et la radio au Forum Voix locales démontre une volonté de faire «un peu plus de bruit pour des médias communautaires, mais aussi de tisser des liens aussi avec d’autres acteurs complémentaires», observe la direction générale des Médias ténois, Nicolas Servel.
Delphine Petitjean a décelé une ouverture du côté du diffuseur public pour «mieux arrimer les besoins et peut-être trouver un moyen de collaborer» : «Je trouve ça intéressant.»
Les autres défis
Les solutions mises de l’avant dans le Livre blanc viennent avec leurs lots de défis, notent les principaux intéressés.
Pour Nicolas Servel, obtenir que le gouvernement reconnaisse les besoins spécifiques des communautés et des MCLOSM sera l’un des plus grands défis. Cette reconnaissance pourrait cependant ouvrir plusieurs portes.
De son côté, Jason Ouellette considère que la mise à jour technologique des médias et la formation des artisans et artisanes représentent l’un des enjeux les plus importants.

Frédéric Dupré est satisfait de voir dans le Livre blanc la reconnaissance de l’impact important des MCLOSM dans «la pertinence sociale, nationale, même pour la démocratie de ces médias hyperlocaux».
Un plan d’action à définir
Le Forum Voix locales était avant tout une consultation qui doit mener à un plan d’action concret. Celui-ci devra être mis en œuvre par le Consortium, les quatre associations et leurs membres.
«En tant que membres du Consortium, on a hâte de pouvoir donner plus de rétroaction pour qu’on travaille collectivement, avec l’ensemble de nos propres membres, pour aller dans les détails avant que ça devienne vraiment le plan d’action», souligne Maryne Dumaine.
«Je ne pense pas qu’on peut attendre un autre 3 à 5 ans. Il faut que le plan d’action suive rapidement», prévient Francis Sonier. Il devra aussi être «clair».
Le plus grand défi pour Frédéric Dupré demeure de simplement s’assurer que le Livre blanc et le Forum se traduisent en actions : «Qui va prendre le leadeurship? Est-ce que le gouvernement va vraiment écouter? Est-ce qu’on va juste en faire un autre dans 3-4 ans?» Il souhaite que non.

À la fin du Forum Voix locales, Linda Cardinal a offert au Consortium de créer un comité scientifique pour appuyer les prochains recherches et sondages à propos des médias de langues officielles en situation minoritaire.
Le grand mystère linguistique
Linda Cardinal a remarqué une différence dans le sondage mené par la firme Nanos entre les réponses des anglophones et des francophones en situation minoritaire par rapport à leurs médias : les anglophones lisent presque seulement en anglais. Les francophones, eux, lisent aussi bien en anglais qu’en français.
Cette particularité représente un obstacle de plus pour les médias francophones selon elle.
«Est-ce que le média anglophone est spontanément [perçu comme] supérieur au média francophone? Est-ce que c’est dû à des préjugés? Est-ce que le média anglophone est plus présent dans le milieu? Est-ce que ce sont des questions d’accessibilité qui fait qu’on lit moins le média francophone?», interroge-t-elle.
S’il s’agit d’un enjeu de découvrabilité, le gouvernement fédéral doit s’engager. «Au Québec, c’est un leadeurship gouvernemental qui fait qu’on s’est intéressé à la question. Où est le leadeurship gouvernemental en milieu minoritaire pour qu’on s’intéresse aussi à cette question?»