«Le plus gros défi, c’est les ventes, c’est vraiment très dur de rejoindre le public, les jeunes en particulier», confie l’illustrateur de bande dessinée, Martin Deschatelets, également dessinateur pour des studios d’animation et des créateurs de jeux vidéos.
Entre 2018 et 2023, le Franco-Ontarien a publié avec Kevin Montpellier deux tomes de la série L’Ordre de Jacques-Cartier, commandée par le Réseau du patrimoine franco-ontarien.
«J’aime ça raconter une histoire en images, jouer avec les différentes couleurs, les éclairages, les ombres, ça donne beaucoup de vie, ça transmet les émotions avec beaucoup de subtilités», partage Martin Deschatelets.
Des «petites parutions à droite, à gauche»
Entre l’écriture du script, la création des dessins, la scénarisation des pages, la commercialisation de la bande dessinée, «ça demande énormément de travail», souligne Martin Deschatelets.

«Il n’y a pas de maison d’édition en Ontario pour publier de la BD en français, et le marché québécois est très fermé», déplore le bédéiste Martin Deschatelets.
«On doit faire la promotion nous-mêmes, on va voir les magasins pour leur proposer. Ce n’est pas possible d’en vivre. Les deux premières semaines après la sortie, ça se vend bien et après plus rien», poursuit-il.
Le bédéiste et chargé de cours à l’Université du Québec en Outaouais, Paul Roux, confirme les difficultés de la bande dessinée franco-canadienne à se faire une place sur la scène littéraire nationale.
Selon lui, malgré la volonté de plusieurs maisons d’édition francophones en situation minoritaire de développer le neuvième art, les éditeurs «n’ont pas le temps d’investir dans des créateurs» et encore moins «les moyens financiers de les soutenir».
«Aujourd’hui, les éditeurs veulent des séries courtes pour passer à autre chose alors qu’avant on suivait l’aventure des personnages sur le long terme», ajoute-t-il.
L’auteur de L’égout du risque, roman jeunesse illustré et republié aux éditions du Pacifique Nord-Ouest, évoque quelques tentatives dans la francophonie minoritaire, «des petites parutions à droite, à gauche», très peu de «publication soutenue».
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Défi de «tenir dans la durée»
«Une BD coute très cher, car c’est très long à faire, c’est minimum un an de travail pour les illustrations et plusieurs mois pour écrire le script, observe Paul Roux. Les avances aux auteurs ne suffisent pas et il n’y a pas suffisamment de bourses.»

Parmi les sources d’inspiration de l’auteure Camille Perron-Cormier figure le bédéiste Dano LeBlanc, créateur du premier superhéros acadien, Acadieman.
Dans ce contexte, les jeunes auteurs ont du mal à émerger et, surtout, à «tenir dans la durée», estime celui qui illustre aussi la série de romans jeunesse Les Trois Mousquetaires, publiés par Bouton d’Or Acadie.
La maison d’édition du Nouveau-Brunswick publie également les bandes dessinées de l’Acadienne Camille Perron-Cormier.
«En tant que bédéiste francophone, on est assez isolé. Alors l’une des choses les plus précieuses, c’est d’avoir le soutien d’une maison d’édition. Ça nous aide dans le processus de création et d’écriture, ça permet de se faire connaitre», affirme l’auteure de la série pour enfants Crapaud et Romarin, une quête identitaire inspirée de l’univers des sorcières.
L’illustratrice indépendante a mis trois ans à réaliser chacun des deux tomes de sa série : «Il faut travailler son univers, ses personnages pour construire un scénario solide, prendre du temps pour les dessins au crayon, la coloration, la révision à l’ordinateur.»
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Démystifier le travail de bédéistes
Les frères jumeaux Daniel et Dany Bouffard ont, eux, imaginé les aventures de Capitaine Acadie. En 2019, ils ont créé leur propre maison d’édition, Bedecomics. Depuis, ils ont sorti huit albums du superhéros aux dizaines de super pouvoirs acadiens.
Ils ont vendu en moyenne 3000 exemplaires de chaque album. Un nouvel épisode, qui se déroule à l’Île-du-Prince-Édouard, sera lancé en décembre prochain.
«On veut partager notre passion pour les superhéros et notre identité acadienne. On adapte les scénarios à chaque région», explique Dany Bouffard, fils d’une famille acadienne et né aux Îles-de-la-Madeleine, au Québec.

Les frères Dany et Daniel Bouffard (de g. à d.) ont inventé le superhéros Capitaine Acadie en 2019.
Quel que soit leur parcours, tous les auteurs veulent démystifier leur travail et transmettre leur passion aux jeunes générations. Camille Perron-Cormier donne des ateliers scolaires, Paul Roux participe à des tournées scolaires et à des salons du livre aux quatre coins du pays. Il crée par ailleurs des webzines pour le Centre franco-ontarien de ressources pédagogiques.
Les frères Bouffard font appel aux enfants et aux adolescents dans leurs projets grâce à des concours de dessins qui permettent de choisir des œuvres gagnantes et de les publier dans les albums de Capitaine Acadie.
Martin Deschatelets conçoit lui aussi des bandes dessinées pédagogiques pour les conseils scolaires, mais depuis deux ans les demandes se raréfient.
«C’est triste et frustrant, car tout le monde a sauté sur l’intelligence artificielle, beaucoup de monde préfère payer zéro plutôt que de payer un artiste. La quantité prime sur la qualité», regrette-t-il.
Le Franco-Ontarien espère tout de même terminer et publier les derniers tomes de L’Ordre de Jacques-Cartier et de Big Nick, le superhéros de Sudbury qu’il a créé avec Kevin Montpellier.
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