«Je débute en précisant que mon expérience avec la pandémie de la COVID-19 n’est pas du tout celle qui a été vécue par les citoyens de Wuhan. D’abord, j’ai eu la chance d’être déjà à l’extérieur du pays lorsque tout ça a commencé. Ensuite, comparativement, Shanghai a été épargnée – le nombre de cas est resté tout de même contrôlé, moins de fatalités, et une population généralement plus jeune et en santé qu’ailleurs.
Lorsque la nouvelle d’une épidémie s’est rendue jusqu’à nous, jusqu’aux plateformes d’actualité comme CBC, nous étions en transit entre le Japon et la Thaïlande. C’était au beau milieu du congé du Nouvel An chinois. Déjà, les masques étaient portés dans l’aéroport, du désinfectant pour les mains disponibles partout et des précautions prises pendant le vol.
La Thaïlande était un peu différente, moins sévère, et pour tout le mois qu’on allait finir par y passer, presque tout était business as usual. C’est là, une semaine après l’arrivée, qu’on a appris que les écoles en Chine allaient être fermées indéfiniment.
Je continue en mentionnant que je reconnais l’immense privilège que nous avons eu, pendant les semaines à venir, d’avoir la liberté de bouger, d’avoir pu laisser passer le pire dans deux pays très peu affectés par la crise, sur la plage.
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Les six semaines qui ont suivi l’annonce ont quand même été difficiles, pleines de questions, d’incertitude, de stress.
Que faire — retourner en Chine où l’épidémie est hors de contrôle? Payer pour un trajet de 26 heures jusqu’au Canada? Est-ce que nos familles seront à risque si on s’isole dans leur maison après plusieurs semaines en Asie? Comment savoir si les pays d’Asie sont transparents dans leurs rapports ? Est-ce que mon assurance maladie va payer si j’attrape le virus au Laos? Ça coute combien 10 jours d’hospitalisation à Bangkok?
Malheureusement, l’administration de notre école n’offrait que des réponses vagues, et on a dû faire du mieux qu’on pouvait avec l’information qui était disponible. Après presque deux mois à l’étranger, à chercher refuge dans trois pays différents, avec aucun signe que la crise passerait bientôt, nous avons décidé de rentrer en Chine.
C’est là que nous avions une assurance maladie, c’est là qu’on éviterait de mettre quiconque à risque, c’est là qu’on pouvait s’isoler dans notre propre maison, dormir dans notre lit, cuisiner dans notre cuisine.
Un retour éreintant
Le retour m’a causé beaucoup d’anxiété, le pire chapitre de l’expérience. Les mesures prises aux aéroports changeaient constamment, aucune façon de savoir à quoi s’attendre. Le check-in à l’aéroport de Bangkok a pris deux heures. Le vol était plein à craquer, tout le monde masqué, tout le monde tendu et alarmé si un passager avait le malheur de faire le moindre bruit qui pourrait ressembler à une toux. On a pris notre température cinq ou six fois entre le check-in, le passage à la sécurité, le vol et l’arrivée.
Il a fallu remplir des formulaires, des déclarations de voyage, des déclarations de santé, signées à l’empreinte digitale. À l’arrivée, tous les agents qui prenaient les déclarations et géraient la foule portaient des costumes Hazmat. La tension était palpable.
Étrangement, à l’entrée au pays on nous a accordé un code vert, ce qui voulait dire qu’on ne serait pas en isolement complet. On s’est finalement rendus chez nous en taxi, un plastique épais fixé au dossier des sièges avant, pour protéger le conducteur.
Pour les 14 jours qui ont suivi, la quarantaine, on a pris le temps de tout digérer ça. Épuisés, toujours sans réponses, mais heureux d’être à la maison, on s’est vite rendu compte que la situation à Shanghai ne collait pas tout à fait à l’image peinte par les médias — soulagement.
Après une longue conversation à l’aide de notre pauvre vocabulaire en mandarin et de Google translate, on nous a donné une passe pour entrer et sortir de notre complexe d’appartements, avec un avertissement — ne sortez pas à moins que ce soit absolument nécessaire. La première et seule sortie pour un temps : aller chercher nos chats qui étaient chez une amie (absolument nécessaire, et à presque zéro contact, il faut le souligner).
Heureusement, la Chine excelle en matière de livraison et nous n’avons manqué de rien. Notre eau potable, nos commandes d’épicerie, nos masques pour les prochains mois et notre vin (essentiel!) étaient laissés à la barrière du complexe, pour éviter les contacts. Notre quarantaine s’est donc bien passée, et lorsqu’on a eu fini, comme pour nous récompenser, Shanghai a annoncé que les masques à l’extérieur n’étaient plus obligatoires.
La vie reprend son cours
Notre reconnaissance pour tous ceux qui ont continué de travailler pour rendre le tout possible est immense, l’expérience n’aurait certainement pas été la même sans ces personnes qui ont continué de se présenter en première ligne, à l’aéroport, dans l’avion, à la livraison, au contrôle des entrées et sorties du complexe d’appartements.
Maintenant, sauf le port des masques toujours obligatoire pour prendre un taxi ou entrer dans un restaurant, et les mesures de distanciation sociale que la majorité de la population respecte encore le plus possible, la vie reprend tranquillement son cours. On se rend compte que de ralentir, ce n’est pas si mal.
On travaille de la maison, on s’adapte, on a du temps pour faire toutes les choses qui semblent si difficiles à réconcilier avec nos quotidiens occupés d’habitude : cuisiner, lire, faire du yoga, faire des siestes, être à jour dans le lavage.
Je sais que le personnel médical et soignant, les agents de bord, les personnes qui ne peuvent pas se permettre de travailler de la maison, ceux qui n’ont pas d’assurance maladie et j’en passe, sont affectés à un niveau beaucoup plus personnel, déstabilisant, et que tout ça pourrait réellement changer leur vie et celle de leur famille pour un temps indéterminé.
N’oublions pas de dire merci, de faire notre part, de rendre leur situation un tout petit peu plus facile en s’assurant de ne pas accabler nos systèmes de santé, de ne pas mettre à risque ceux qui pourraient véritablement souffrir, de retourner à nos vies telles qu’on les connait le plus rapidement possible. Surtout quand faire notre part se résout à rester chez nous, dans nos affaires, à en faire le moins possible.
Je sais que notre expérience a été beaucoup plus simple et facile que celle des tonnes de gens qui étaient strictement prisonniers de leur appartement pour plusieurs semaines, ou qui rentrent en Chine maintenant, qui passent au travers du contrôle beaucoup plus sévère, du testing, de l’isolement dans des hôtels choisis par le gouvernement.
Mais quand même, je sais ce que c’est de vivre dans l’incertitude pendant plusieurs semaines comme mes amis et ma famille qui commencent ces jours-ci à être affectés par la pandémie. Je comprends les sentiments d’impuissance, le stress, la peur. Je sais que les premiers jours de quarantaine sont difficiles pour certains, on est tellement habitués d’être constamment occupés.
Bon courage Canada, et Hearst, ma ville natale.»