Daniel Robichaud, secrétaire de la Société Vieille Maison, un groupe sans but lucratif dédié à la protection de ce lieu patrimonial acadien à Meteghan, en Nouvelle-Écosse, rêve que la Maison devienne officiellement un musée, afin de faciliter l’accès au financement. Le pépin : elle ne répond pas encore à tous les critères pour obtenir l’accréditation de l’Association des musées de la Nouvelle-Écosse. «Présentement, il n’y a même pas de toilettes à la bâtisse.»

«La vision pour l’avenir, c’est d’être rendu un musée de l’Association qui recevrait un financement pluriannuel pour des opérations qui nous permettraient au moins d’[embaucher] une, deux ou trois personnes pendant l’été», décrit Daniel Robichaud.
À quelques kilomètres au sud se trouve le Musée des Acadiens des Pubnicos. Sa directrice générale, Bernice d’Entremont, aimerait bien installer un ascenseur ou une chaise montante pour permettre aux visiteurs plus âgés de se rendre au deuxième étage, où repose une mine d’or généalogique : le Centre de Recherche Père Clarence-J. d’Entremont.
«Ça fait dix ans qu’on travaille [ce dossier], mais mettre un ascenseur, c’est très cher, explique la directrice, qui compose avec un budget annuel d’environ 125 000 dollars. On n’a pas encore trouvé une manière de le financer.»
«Il faut certainement faire beaucoup de prélèvements de fonds», dit-elle, en pleine organisation d’un thé de la fête des Mères lors duquel seront vendus des teeshirts. «C’est toujours difficile. C’est ça la vie d’un petit musée.»
À lire : Musées : ça prend un village… et de l’argent
Manque de financement stable
La présidente de la Yukon Historical & Museums Association, Sylvie Binette, décrit un «cercle vicieux» : le manque de financement en contraint plusieurs à fermer l’hiver, diminuant ainsi le revenu annuel. «Il y a besoin de vraiment réévaluer comment on finance les musées. Les musées, c’est l’identité de ton peuple.»
En Nouvelle-Écosse, La Vieille Maison porte bien son nom : c’est l’ainée du genre. Datant de 1796, elle est considérée comme l’exemple le mieux préservé d’une habitation acadienne postexil au Canada. Ouverte au public 20 jours par année, elle a besoin d’amour et, plus concrètement, de prévisibilité.
«Notre plus grosse dépense, pour une maison verrouillée les trois quarts de l’année, ce sont les assurances», explique Daniel Robichaud. Pour des rénovations, La Vieille Maison a obtenu du financement public, mais seulement «par projet». «Il manque un financement stable, [pluriannuel]. Les musées et les bâtiments historiques, ce sont des grosses structures, mais [on reçoit] des bulles de financement.»
Les rénovations ont d’ailleurs été entièrement menées par des bénévoles, souligne M. Robichaud.
Des bénévoles épuisés
La Vieille Maison a déjà été un musée, de 1958 à 2001, avant d’être abandonnée pendant une vingtaine d’années par ses propriétaires américains. «Ça s’est détérioré très rapidement, raconte Daniel Robichaud. Les travaux qu’on a faits étaient pour stabiliser le bâtiment. On commence tout juste à mettre les doigts sur la collection [d’antiquités] qui va à l’intérieur.»

Le Musée des Acadiens des Pubnicos, en Nouvelle-Écosse, s’est doté de panneaux solaires, ce qui permet à l’établissement de faire des économies d’électricité, explique Bernice d’Entremont.
Son abandon était dû à une raison particulière : «l’épuisement des bénévoles», relate M. Robichaud. La maison a éventuellement été sauvée par lui et ses collègues, mais tous les musées n’auront peut-être pas cette chance.
Le gestionnaire principal de la défense des intérêts de l’Association des musées canadiens (AMC), Dnyanesh Kamat, confirme que l’épuisement professionnel prend de l’ampleur dans le monde muséal. Les plus petits musées sont «très dépendants de bénévoles», dit-il. «Ça rend le secteur très vulnérable.»
Plus de 560 musées au Canada dépendent entièrement de bénévoles, selon Statistique Canada. Cela est directement lié à la situation financière de nombreux petits musées, qui n’ont pas les moyens d’embaucher.
À l’Écomusée de Hearst, en Ontario, le financement reste un «défi évident», confirme la présidente, Mélissa Vernier. Une subvention annuelle de la Ville permet de chauffer et d’assurer la maison centenaire. «Mais avec [l’inflation], ces subventions deviennent insuffisantes.»
Grâce à un programme fédéral, le musée peut recruter des étudiants l’été. Le reste de l’année, il dépend entièrement de bénévoles. «On aimerait embaucher quelqu’un, au moins à temps partiel, pour assurer que le musée soit ouvert plus longtemps. On pourrait assurer davantage de visites scolaires, par exemple», explique Mme Vernier.
À lire aussi : La survie des musées francophones en Alberta (Le Franco)
Risques de fermeture
«Certains musées et galeries communautaires ont déjà fermé leurs portes ou sont à risque de le faire dans les trois prochaines années», lit-on dans un document signé par une demi-douzaine de représentants de musées et de galeries du Canada (dont l’AMC) et conçu en février dernier. Envoyé au Parti libéral du Canada, à plusieurs acteurs culturels dans le pays et à différents paliers de gouvernement. Francopresse en a obtenu copie.

Selon Dnyanesh Kamat, les gouvernements doivent se rappeler du rôle social et historique que jouent les musées, en particulier les musées communautaires : «Je m’inquiète du fait qu’on ne semble pas être sensibilisés aux petits musées.»
Titré «Le Canada a besoin de musées et de galeries communautaires : maintenant plus que jamais» [traduction libre], on y stipule que «les musées et galeries communautaires ont été négligés bien trop longtemps».
«Avec un modèle de financement modernisé et une politique nationale des musées révisée, ils peuvent devenir plus durables, tout en renforçant l’identité, la culture, la diversité, les valeurs et la souveraineté du Canada», rapportent les représentants du milieu.
«J’espère que l’on n’atteindra pas un point de non-retour», s’inquiète Dnyanesh Kamat de l’AMC. «Il ne s’agit pas seulement de la fermeture d’une institution, ce sont les mémoires collectives.»
À lire aussi : Le financement des arts et de la culture demeure incertain à Ottawa
Le travail dans l’ombre
«Un musée n’est jamais rentable. C’est plus un service que tu offres à la population», laisse tomber le seul employé du Musée acadien de Caraquet, au Nouveau-Brunswick, à y être six mois par année, Sylvain Lanteigne.
L’été, l’établissement dépend de divers programmes gouvernementaux pour embaucher des étudiants.
Grâce aux subventions municipales, surtout, le musée réussit à boucler ses fins de mois. C’est aussi grâce à M. Lanteigne : «Je suis directeur, je m’occupe des emplois l’été, du bon fonctionnement du musée, la collection, l’inventaire, cataloguer et numériser, les rapports qu’on envoie à la province. […] C’est un travail qui se fait beaucoup dans l’ombre.»
Sylvain Lanteigne aimerait éventuellement agrandir le musée pour mieux accommoder la collection grandissante d’objets historiques acadiens, un projet impossible pour le moment. «Présentement, j’accepte seulement les petits objets, indique-t-il. Il faut rationaliser pour prendre moins d’espace.»
Recrutement, rétention, relève
«Le plus dur» au Yukon, selon Sylvie Binette, c’est le recrutement et la rétention du personnel.

L’Écomusée de Hearst, en Ontario, est installé de façon permanente dans la maison patrimoniale Blais, un don de la Ville. «C’est comme ça qu’on a pu installer une collection plus permanente, avoir des activités un petit peu plus régulières», explique Mélissa Vernier.
«Un directeur exécutif payé 21 dollars de l’heure cinq mois par année, c’est pas évident de trouver quelqu’un qui a des qualifications [et qui veut faire ça]. Parce que les gens sont sous-payés par rapport aux responsabilités qu’ils ont, ça n’attire pas les gens qui ont complété des études dans le domaine muséal, en plus de la question du logement.»
En Nouvelle-Écosse, la pratique du tapis hooké cherche sa relève, et le Musée du tapis hooké aussi.
«On pense à la retraite, et on pense à qui sont les plus jeunes qui vont vouloir travailler dans la généalogie, assurer que notre musée va rester ouvert, répondre aux exigences pour nous assurer que nos archives sont protégées de l’humidité, de la clarté naturelle», raconte la directrice générale de la Société Saint-Pierre de Chéticamp, où se trouve l’établissement, Lisette Aucoin-Bourgeois.
«Il faut être passionné, reconnait-elle. Parfois, on s’inquiète.»