Greyson Gritt, 34 ans, est arrivé en 2008 à Yellowknife. Il y est resté 10 ans. C’est ici que s’est forgée son identité et qu’il a fait les démarches pour obtenir les interventions chirurgicales lui permettant de se sentir bien dans son corps.
«Quand j’étais plus jeune, je m’identifiais comme lesbienne», dit le musicien originaire d’Ontario, où il est retourné vivre il y a deux ans. Il a changé son nom quelques jours avant d’avoir 25 ans.
«Aujourd’hui, je ne me considère pas comme un homme ni ne me sens comme un homme, dit Greyson lors d’une rencontre virtuelle. Je me considère trans, bispirituel, non binaire, queer. Je n’ai jamais voulu être un homme.»
Il utilise le pronom they en anglais, mais toujours il en français, car ça demeure «juste plus facile», dit-il.
Mais il y a bien une fois où le chanteur a affirmé sans nuance qu’il voulait être un homme. C’était dans le bureau d’un psychiatre qu’il rencontrait pour la première fois, à Edmonton.
J’étais terrorisé et anxieux en me rendant seul à Edmonton, alors que je suis habitué à voyager, à partir en tournée. J’allais raconter mon histoire à un étranger dont l’avis sur mon identité sexuelle pouvait changer ou non ma vie.
Dysphorie de genre
Les nouvelles lignes directrices introduites aux Territoires du Nord-Ouest (TNO) fin janvier permettent maintenant à une personne transgenre, non binaire et au genre non conforme d’obtenir un diagnostic de «dysphorie de genre» par un praticien d’ici plutôt qu’un psychiatre.
Ce terme médical désigne l’inconfort ou la détresse d’une personne qui a un sentiment d’inadéquation entre son identité de genre et son sexe biologique. Comme les Territoires du Nord-Ouest n’avaient pas de psychiatre spécialisé dans le domaine, les patients devaient se rendre une ou plusieurs fois en Alberta pour obtenir ce diagnostic.
Le processus est ainsi allégé. «L’attente était très longue pour voir un psychiatre à l’extérieur du territoire», confirme Chelsea Thacker, à la direction générale de l’association Rainbow Coalition de Yellowknife.
C’est vraiment positif que les Ténois puissent obtenir ce diagnostic chez eux. Ces interventions sont vitales. Ça a sauvé ma vie.
Des experts du ministère de la Santé et des Services sociaux, des praticiens de première ligne expérimentés, des défenseurs des droits des patients et la Rainbow Coalition de Yellowknife, entre autres, ont collaboré au développement des lignes directrices à partir d’aout dernier. Il n’y avait, auparavant, rien de formel.
Le diagnostic de dysphorie de genre peut ainsi être réalisé par un «praticien en soins de première ligne qui a une vaste expérience ou une formation officielle dans les soins offerts aux personnes transgenres, non binaires et au genre non conforme», selon le document des lignes directrices.
Si le praticien n’a pas cette expertise, il pourra recommander le patient à un expert clinique qui la détient. Ces médecins, infirmières-praticiennes ou autorisées, psychologues ou travailleurs sociaux pourront poser le diagnostic, demander l’avis d’un psychiatre au besoin, et évaluer l’accès aux soins.
L’Aquilon a entre autres cherché à savoir combien de praticiens ou d’experts cliniques détenaient cette expertise aux TNO. Au moment de publier, le gouvernement n’avait répondu à aucune de nos questions.
«On travaille sur un programme de formation», annonce de son côté Chelsea Thacker, de la Rainbow Coalition.
De nouvelles lignes directrices timides
Les nouvelles règles ne vont toutefois pas assez loin, selon Chelsea Thacker, qui s’identifie comme non binaire.
«Le diagnostic ne devrait pas être nécessaire : il ne faut pas aborder ça comme une question médicale. On doit comprendre et croire les individus transgenres et non binaires, les soutenir, leur expliquer ce qu’une telle démarche implique, ce que sont les bloqueurs de puberté, les hormones, les types de chirurgie, les risques, les conséquences, que c’est correct de douter ou de changer d’idée, et ainsi de suite.»
Si une personne estime qu’elle a besoin d’hormones ou d’interventions chirurgicales, elle devra donner les bonnes réponses, prouver son besoin, exprimer publiquement son identité de genre durant au moins 12 mois, énumère Chelsea Thacker en exemple.
C’est un processus déshumanisant que de devoir cocher des cases pour accéder à des soins.
Le gouvernement a basé ses règles sur les plus récentes normes de soins suggérées par l’Association professionnelle mondiale pour la santé des personnes transgenres (WPATH), dont la 7e édition a été élaborée en 2011.
Le processus demeure très encadré. On lit, dans le document de 130 pages : «Ce qui aide une personne à soulager sa dysphorie de genre peut être très différent de ce qui en aidera une autre. […] Les expressions et identités de genre sont variées, hormones et chirurgie sont deux des nombreuses options disponibles pour aider les personnes à trouver un équilibre entre eux-mêmes et leur sentiment d’identité.»
L’approbation d’une transition demeure un sujet délicat et controversé, surtout chez les mineurs. Pour soulager leur souffrance, certains experts prônent une approche affirmative, où l’on croit le patient, et suggèrent d’aller de l’avant avec l’obtention d’un consentement éclairé et sans évaluations psychologiques, car celles-ci inciteraient à fournir des réponses toutes faites.
D’autres constatent, par exemple, que l’homophobie vécue par un jeune peut être telle qu’il désirera changer de sexe et qu’une investigation rigoureuse permet de s’assurer que ce n’est pas un souhait passager, car son équilibre, bien personnel, pourrait s’atteindre autrement.
Pour trouver le sien, Greyson Gritt avait besoin d’interventions chirurgicales et il a dû se battre pour les obtenir. Le gouvernement des TNO a refusé d’en couvrir les couts, car la lettre du psychiatre n’était pas assez explicite, dit-il. Et, à cause d’une erreur, son dossier médical pour être opéré n’était pas dans la liste d’attente, longue de 18 mois.
Il s’était déjà écoulé neuf mois. J’étais dévasté. Je pleurais chaque jour. C’était une période très sombre de ma vie.
Il a décidé d’aller au privé. Ses amis ont fait une collecte de fonds. Entretemps, le psychiatre d’Edmonton a écrit une autre lettre et Greyson a parlé aux médias. Le gouvernement est revenu sur sa décision.
Aujourd’hui, il exprime de la gratitude d’avoir eu accès à la chirurgie et à l’hormonothérapie. Lui aussi juge que les nouvelles lignes directrices sont timides, notamment à cause de la détresse qu’il faut démontrer pour obtenir le diagnostic de dysphorie de genre et à cause des 12 mois minimaux d’expérience vécue.
En attendant que les normes de soins du gouvernement des TNO et de la WPATH évoluent, l’artiste a quelques conseils à donner.
Aux personnes dont le genre est non conforme : rencontrez votre médecin avec un ami aimant et protecteur et informez-vous.
Aux praticiens de la santé : ne présumez rien, demandez à la personne devant vous quel pronom elle utilise et cessez d’être surpris si un barbu demande un pap test.
Aux législateurs : adaptez les systèmes et les lois pour qu’il soit simple d’être identifié autrement que comme un «homme» ou une «femme». Et, à tous : soyez ouverts.
Greyson a trouvé son équilibre, bien que le chanteur apprivoise encore sa nouvelle voix.