
Nathalie Dion est coordonnatrice de la recherche au Laboratoire de sociolinguistique de l’Université d’Ottawa.
«Dans ma jeunesse, je me suis souvent fait dire que vu qu’on était bilingues et qu’on parlait anglais, qu’il y avait une certaine assimilation. Quand on faisait des fautes à l’oral ou qu’on intégrait des mots d’anglais, que c’était la faute d’une certaine assimilation. [En théorie] on ne devrait pas être fiers de ça, il faut essayer de bien parler», se remémore Nathalie Dion.
C’est au moment où elle a intégré le Laboratoire de sociolinguistique de l’Université d’Ottawa que sa pensée a basculé.
Ce groupe de chercheurs qui étudie les traits linguistiques a mis en lumière qu’à travers les siècles, toutes les communautés francophones ont omis de respecter certaines règles de grammaire de la langue française à l’oral. Les linguistes en concluent qu’il est tout à fait normal et acceptable de déroger un peu des normes grammaticales dans nos conversations.
«Il n’y a pas une bonne et une mauvaise façon de dire les choses, résume Nathalie Dion. Ça m’a un peu bouleversée parce que je pensais qu’il y avait un “bon” français.»
La coordonnatrice de la recherche du laboratoire admet avoir été étonnée de certains résultats des recherches approfondies sur les traits de la langue communautaire :
Ça m’a vraiment frappée parce que je pensais que l’oral était quelque chose qui ne méritait pas d’être étudié, mais j’ai compris que même la langue informelle est formée selon une structure. Ces analyses vérifient ces mythes-là qui sont répandus dans la communauté, surtout en milieu minoritaire.
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La peur d’être assimilée
Née de deux parents québécois, Nathalie Dion a grandi à Timmins, une ville du Nord de l’Ontario qui comptait 37,6 % de francophones minoritaires en 2016.
Comme l’anglais y est omniprésent, les anglicismes s’incrustent naturellement dans les conversations des francophones. C’est d’ailleurs le cas à bien des endroits en francophonie minoritaire.

Timmins est située dans le Nord-Est de l’Ontario.
«C’est rassurant de savoir que de mélanger des langues comme ça, ce n’est pas juste nous autres dans le Nord [qui le faisons]. C’est partout dans les communautés bilingues. Les recherches ont prouvé que tous les locuteurs bilingues le font de la même façon. C’est rassurant et déculpabilisant, mais c’est difficile de se défaire de ces idées [que les anglicismes ne sont pas bons] et de l’expliquer aux autres», souligne Mme Dion.
Elle se souvient qu’à l’école, «on est souvent comparés aux francophones du Québec. On avait cette idée que notre connaissance de l’anglais affecterait notre grammaire et que, sans le savoir, on avait de l’assimilation dans notre cerveau. Ce n’était pas explicite, mais j’avais cette impression-là».
Au primaire et au secondaire, la Franco-Ontarienne croyait que les professeurs enseignaient les règles de grammaire pour que les jeunes changent leur manière de parler, comme s’il fallait corriger leur français.
«C’était présenté comme : “On vous oblige parce que votre français n’est pas à la hauteur.” […] Ça ne m’est jamais passé par la tête que même les francophones qui ne parlent pas anglais apprenaient eux aussi les règles du français.»
«Si on m’avait présenté la grammaire autrement, comme une convention de l’écrit que toutes les communautés francophones apprennent, mais que ça n’enlève rien à notre manière de parler, j’aurais pensé différemment», ajoute Nathalie Dion.
Grammaire acquise à l’enfance

En entrant à l’école, l’enfant est déjà capable d’entretenir une conversation et il a déjà formé sa grammaire de base pour communiquer.
En entrant à l’école, l’enfant est déjà capable d’entretenir une conversation et il a déjà formé sa grammaire de base pour communiquer, rappelle la chercheuse.
«On parle comme ce qui nous a été transmis de génération en génération. C’est le reflet d’une survie et non d’une assimilation. C’est quelque chose de précieux et c’est important de ne pas perdre ça par un désir d’être plus formel», souligne Nathalie Dion.
«Si tu veux apprendre le français plus standard, c’est quelque chose que tu rajoutes à ta façon de parler. On n’est pas censé commencer avec ça. C’est un système de normes qu’on doit apprendre», ajoute-t-elle.
Le français oral et le français écrit sont donc deux choses différentes. Même si la langue communautaire évolue, elle ne collera jamais totalement aux normes prescriptives de l’écrit, et ce, peu importe la communauté.