Quand on parle de réfugiés climatiques, on pense rarement au Canada. Pourtant, ici aussi, des milliers de personnes sont contraintes de fuir leur maison à cause des incendies, des inondations, des tempêtes ou de phénomènes plus longs, comme l’érosion et la montée des eaux.
Peut-on parler de «réfugiés climatiques»?
Si l’appellation «réfugié climatique» n’existe pas au sens juridique du terme, l’Office québécois de la langue française (OQLF) parle aussi de «migrant climatique» pour désigner «une personne ayant quitté son lieu d’habitation, de façon temporaire ou permanente, à cause d’une dégradation environnementale spécifiquement liée aux changements climatiques et bouleversant gravement ses conditions de vie».
D’Ouest en Est
«À l’Ouest, il y a beaucoup de communautés dans les montagnes qui sont exposées à des risques multiples, comme les incendies de forêt, les inondations, les glissements de terrain», amorce Robert McLeman, professeur au Département de géographie et d’études environnementales à l’Université Wilfrid-Laurier à Waterloo, en Ontario.
S’il s’agit généralement de petites villes isolées, toutes les provinces et tous les territoires sont touchés par ce type d’évènements extrêmes, précise-t-il.
«Ces évènements se produisent régulièrement. L’Ouest canadien a connu de nombreux incendies terribles ces dernières années.»
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Témoignage d’une évacuée francophone
«Ça s’est fait très précipitamment. On a été mis sur un pied d’alerte vers 5 h le soir, puis peut-être une heure après, tout le monde a été évacué», se souvient Julie Cayouette, résidente francophone de Labrador City, à Terre-Neuve-et-Labrador.
L’été dernier, face à la progression rapide d’un incendie de forêt, toute la population de la ville a dû être évacuée en urgence. Près de 10 000 personnes ont dû se rendre à Happy Valley-Goose Bay, 530 km plus loin.
Pour cette native de la région, c’était une première : «On a toujours eu des feux, mais on n’avait pas d’opportunité d’évacuation. On était ici, tout était contrôlé.»
Cette fois, les vents violents et la sècheresse ont rendu la situation incontrôlable : «Le feu se rapprochait rapidement. Il ventait énormément», raconte-t-elle.
L’évacuation vers Happy Valley-Goose Bay a duré près de 11 heures pour certains, en raison notamment des longues files d’attente dans les stations-service : «Il y avait tellement de monde… c’était malade.»
Puis la population a été prise en charge par la municipalité et la Croix-Rouge. «Il y avait des lits, des draps, une cantine mobile. Ils nous ont vraiment très bien accueillis.» Le retour à Labrador City n’a pu se faire qu’au bout de dix jours.
En tant que francophone, Julie Cayouette souligne l’importance dans ces moments de crise «de faire passer l’information en français». Elle prévoit siéger au comité d’urgence pour faire avancer cette cause.
Si, dans la plupart des cas, ces déplacements sont temporaires et les gens peuvent regagner leur domicile rapidement, certaines communautés subissent plus durement les effets de ces désastres naturels.
Les inondations posent de très graves problèmes pour les communautés autochtones du centre et du nord du Manitoba. Les personnes peuvent être déplacées pendant de très longues périodes, parfois des années, parce que leur communauté a été inondée et que le gouvernement a été très lent à reconstruire.

Donald Jardine souligne que les résidents des Îles-de-la-Madeleine, au Québec, sont également touchés par les changements climatiques.
L’est du pays n’est pas en reste. «L’intensité des tempêtes s’est accrue avec le changement climatique», remarque Donald Jardine, chercheur au sein du laboratoire sur le climat de l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard, faisant notamment référence au cyclone posttropical Fiona qui a ravagé les provinces de l’Atlantique en 2022.
«Et comme nous sommes une ile et que notre substrat rocheux est sédimentaire, composé de grès et de sable, nous n’avons pas de fondations très solides. Nous sommes donc très sensibles aux ravages des tempêtes qui frappent notre littoral.»
La Première Nation de Lennox Island, à l’Île-du-Prince-Édouard, est particulièrement à risque. Ces dernières années, le quai a fait l’objet d’importants travaux de modernisation, car il a été plusieurs fois inondé, rendant l’ile inaccessible en cas de tempête, explique le chercheur.
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Les populations autochtones à risque
Selon Services aux Autochtones Canada, entre 2009 et 2013, les Premières Nations vivant en réserve ont été touchées par en moyenne 28 incendies de forêt par an. Entre 2018 et 2023, ce nombre a augmenté de 127 %, atteignant en moyenne 63 incendies par année.
Les Premières Nations sont affectées de manière disproportionnée par les situations d’urgence et les évacuations. Entre 2009 et 2023, plus de 177 000 membres vivant dans une réserve ont dû être évacués en raison d’un danger naturel.
«Pour l’instant, les réfugiés climatiques au Canada sont presque uniquement les peuples autochtones», confirme la chercheuse Isabelle Côté.
Des solutions «au cas par cas»
Les solutions proposées aux populations déplacées se font souvent «au cas par cas», constate Robert McLeman.
Il prend l’exemple de la Première Nation du lac Saint-Martin, au Manitoba. «Elle a été inondée et il a été décidé que l’endroit était trop dangereux et que les gens ne devaient pas reconstruire là.»
Pendant près de deux ans, les membres de cette communauté ont vécu dans des hôtels à Winnipeg et ailleurs, en attendant que le gouvernement tente de trouver une solution.

«Dans les montagnes de la Colombie-Britannique, nous voyons des gens construire de grandes maisons et des complexes touristiques dans des zones exposées aux incendies, aux inondations et aux glissements de terrain», déplore Robert McLeman.
«Le problème avec les communautés des Premières Nations, c’est qu’il y a plusieurs niveaux de gouvernement impliqués : le national, le fédéral, le provincial et celui des communautés.»
«Il y a un certain nombre de petites communautés des Premières Nations au Canada qui vont devoir déménager», ajoute Robert McLeman, citant Tuktoyaktuk, un village Inuvialuit situé aux Territoires du Nord-Ouest, menacé par les tempêtes, la montée des eaux et l’érosion.
«Le gouvernement commence déjà à planifier l’endroit où il va déplacer la communauté. Il s’agira probablement d’un endroit situé plus à l’intérieur des terres, sur un terrain plus élevé, et il faudra reconstruire une grande partie des infrastructures.»
D’autres communautés dans le Nord du pays seront dans la même situation dans les 20 à 30 prochaines années, prévient le professeur.
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Un trauma supplémentaire
«Les Autochtones ont des liens de longue date avec la terre, l’eau, la chasse, la pêche, la spiritualité. C’est donc un véritable défi pour eux s’ils doivent être déplacés», rappelle le professeur Robert McLeman.
La plupart d’entre eux ont déjà été contraints de quitter leur territoire par le passé. Le chercheur cite le cas des habitants de Tuktoyaktuk, qui ont été déplacés dans ce village des Territoires du Nord-Ouest par le gouvernement canadien dans les années 1950.
«Les personnes réinstallées ont subi beaucoup de traumatismes et de difficultés. Aujourd’hui, leurs descendants, leurs petits-enfants, se retrouvent dans une situation où ils devront à nouveau déménager.»
«Les membres de la communauté doivent être activement impliqués dans le processus, alerte-t-il. Le gouvernement ne peut pas se contenter de dire : “OK, vous devez tous déménager. Maintenant, allez ici.” Cela ne peut plus fonctionner de cette manière.»
Le cas des relocalisations à Terre-Neuve
Certaines régions commencent à envisager de mettre en œuvre des politiques de relocalisation pour les communautés exposées.

Selon la chercheuse Isabelle Côté, les relogements liés aux changements climatiques soulèvent des questions profondes sur notre lien au passé.
Ce phénomène n’est pas nouveau à Terre-Neuve-et-Labrador, rapporte Isabelle Côté, professeure agrégée au Département de Science Politique à l’Université Memorial, à Terre-Neuve.
Pour des raisons économiques et de centralisation des ressources, le gouvernement de la province a déjà procédé à plusieurs programmes de réinstallation depuis les années 1950.
Elle prend l’exemple récent du petit village insulaire de Little Bay Islands, dont les habitants ont été relocalisés en 2019. Les résidents permanents ont accepté de quitter leur ile en échange d’une compensation financière de 250 000 dollars. L’objectif était double pour la province : réduire les couts de services – comme le traversier – et permettre aux habitants de se réinstaller ailleurs.
Avec l’érosion côtière grandissante, la question des relocalisations refait surface dans l’actualité dans les Maritimes, cette fois pour des raisons climatiques. «Il y a de plus en plus de communautés dont les maisons sont vraiment sur les façades et peuvent être emportées par les marées», souligne Isabelle Côté.
Des solutions et des illusions
«Il est important de renforcer la coordination entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux pour s’assurer de la planification des urgences, car nous connaissons les risques […] Ces évènements se multiplieront à l’avenir», avance Robert McLeman.
Ce qui se passe souvent à l’heure actuelle, c’est que nous nous en rendons compte au fur et à mesure. Nous devons être plus proactifs dans notre planification. Les autorités locales doivent essayer de décourager le développement d’infrastructures dans des endroits exposés à des risques.
Le chercheur rappelle aussi que toute personne a la responsabilité de se préparer aux urgences.
«D’après mon expérience, plus il s’écoule de temps entre la dernière tempête et la suivante, plus la mémoire des gens s’effrite», soulève Donald Jardine. Cependant, la hausse des primes d’assurance les ramène à la réalité.