Le débat a réuni à Ottawa des représentants des cinq principaux partis politiques.
Pendant une heure, ils ont débattu d’un grand nombre de sujets : seuils d’immigration, santé et places dans les garderies bien entendu, mais aussi fonction publique, traduction, médias, commissaire aux langues officielles, financement des petits établissements universitaires, ayants droit, réconciliation avec les communautés autochtones (et gouverneure générale), etc.
Alors que toute notre attention est accaparée par la question de l’incertitude économique et des relations commerciales avec les États-Unis, le Canada est pourtant confronté à d’autres défis, à commencer par la question de la protection, si ce n’est de la survie, des communautés francophones partout au pays.
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Un débat très animé
Le moins que l’on puisse dire c’est que ce débat a été très animé.
À plusieurs reprises, les candidats parlaient en même temps, ne se gênant pas pour interrompre leurs adversaires ou pour parler plus longuement que le temps qui leur avait été alloué.

Le débat sur la francophonie a été animé, mais en fin de compte, les réponses à chaque question livraient plus une promesse similaire des beaux jours à venir.
La vivacité des échanges pourrait donner l’impression que les choses vont mal et il faut y remédier le plus rapidement possible. D’ailleurs, n’est-ce pas ce que l’on entend lorsque l’on parle de francophonie au Canada? La population francophone est en déclin. L’offre des services en français aussi. Des communautés disparaissent.
Pourtant je n’ai pas perçu que les partis politiques partageaient ce sentiment d’inquiétude, pour ne pas dire d’urgence. J’y ai plutôt vu un large consensus.
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Une réponse à tout
Si on leur avait posé la question «Trouvez-vous que les choses vont bien en matière de francophonie?», je pense bien que tous les candidats, peu importe leur affiliation politique, auraient plutôt répondu oui.
Car les réponses fournies à la plupart des questions étaient essentiellement les suivantes : oui, il y a des défis, mais on fait des efforts qui vont éventuellement donner des résultats.
Oui, des seuils d’immigration francophone sont difficiles à atteindre, mais on s’améliore et on y parviendra. On va même les augmenter.
Oui, l’offre et la qualité des services de santé et d’éducation laissent à désirer, mais soyez patients, car la main-d’œuvre s’en vient. D’autant plus que l’on va atteindre nos seuils d’immigration.
Oui, le bilinguisme dans la fonction publique fédérale et l’offre de services publics posent problème, mais les règlements internes du gouvernement qui seront bientôt adoptés vont transformer la situation. En plus, on aura un nouveau commissaire aux langues officielles qui aura plus de «mordant» (le mot est revenu souvent lors des échanges).
Oui, on est d’accord, l’intelligence artificielle ne peut pas remplacer des traducteurs, alors on va faire les ajustements nécessaires en donnant plus de ressources.
Oui, plusieurs médias francophones risquent de devoir cesser leurs activités bientôt, mais on est en train de mettre au pas les géants du Web.
Oui, la survie des petites universités est en péril, mais le financement sera éventuellement au rendez-vous.
Bref, toutes les réponses fournies par les candidats reprenaient essentiellement le même argument : il manque actuellement d’argent et de ressources humaines (la main-d’œuvre), mais on va investir plus et ça donnera des résultats.
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du point de vue de la francophonie canadienne.
Si les choses étaient aussi faciles…
Mais ce raisonnement est profondément fallacieux. À répéter sans cesse que les problèmes se résorberont lorsqu’il y aura plus d’argent, on confine d’emblée les communautés linguistiques les plus vulnérables à être dans une position perpétuelle de demandeurs. Elles sont ainsi à la merci du bon vouloir des bailleurs de fonds.
Mais ça fait des années que les communautés linguistiques minoritaires demandent ces ressources, sans obtenir de réels résultats.
La solution n’est tout simplement pas là. Elle passe par une refonte des modèles de gouvernance. Les francophones doivent avoir une place dans les centres de décisions, là où les véritables enjeux font l’objet de discussions.
Ils doivent, par exemple, être présents dans les conseils d’administration des établissements de santé, du milieu scolaire – de la petite enfance à l’université –, et rendre compte de leurs actions aux communautés qu’ils représentent.
Ils doivent pouvoir se prononcer et même approuver les choix du diffuseur public (Radio-Canada) et pour les autres médias (le CRTC), aussi sur les orientations de la fonction publique (que ce soit à propos du commissariat aux langues officielles ou des décisions du secrétariat du Conseil du trésor, l’employeur de la fonction publique fédérale).
Bref, la francophonie canadienne doit être traitée comme un décideur de politiques publiques de plein droit.
Si on devait s’en convaincre, il n’y a qu’à observer l’influence qu’a eue la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) durant le débat. À de nombreuses reprises, ses propositions ont été mentionnées par les candidats. Voilà qui illustre bien l’importance de recevoir des avis des communautés francophones.
À une exception près, aucun parti n’a présenté de telles solutions lors de ce débat. L’exception a été le Bloc québécois, qui a rappelé que les décisions concernant l’avenir du français au Québec devaient être prises par le gouvernement du Québec et non par le gouvernement fédéral.
Cette solution n’aidera évidemment pas les communautés francophones hors Québec.
Commencer par donner l’exemple
Par ailleurs, tous les partis politiques ont manqué une excellente occasion de faire preuve de leadeurship sur l’enjeu de la gouvernance lors du débat.
Aucun des candidats n’était un francophone hors Québec.
Sans enlever aucun mérite aux candidats qui ont participé à ce débat (ils ont tous un CV impressionnant), on ne peut s’empêcher de penser qu’il existe d’excellents candidats francophones de l’extérieur du Québec qui auraient pu prendre part à un débat sur des enjeux qui les touchent directement.
Le débat était le fruit d’une collaboration entre Radio-Canada, les médias écrits membres de Réseau.Presse et Francopresse, qui ont participé à l’élaboration des questions.
Geneviève Tellier est professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Ses recherches portent sur les politiques budgétaires des gouvernements canadiens. Elle commente régulièrement l’actualité politique et les enjeux liés à la francophonie dans les médias de tout le pays.