le Vendredi 18 avril 2025
le Dimanche 13 avril 2025 6:30 Sciences et environnement

Intelligence artificielle : les véritables enjeux au-delà des craintes

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L’humain face aux intelligences artificielles actuelles n’est pas si désavantagé que l’on peut croire.  — Photo : Ron Lach – Pexels
L’humain face aux intelligences artificielles actuelles n’est pas si désavantagé que l’on peut croire.
Photo : Ron Lach – Pexels
FRANCOPRESSE – Depuis l’essor de l’intelligence artificielle (IA) générative, un mélange de fascination et d’inquiétude s’est installé. L’IA va-t-elle remplacer les travailleurs, surpasser l’intelligence humaine et finir par nous échapper? Si ces questions sont légitimes, elles sont souvent teintées d’idées reçues et d’extrapolations qui s’éloignent des réalités technologiques.
Intelligence artificielle : les véritables enjeux au-delà des craintes
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Plutôt que de céder aux scénarios alarmistes, il est essentiel de comprendre ce que l’IA peut réellement faire aujourd’hui, ses limites et les défis concrets qu’elle pose.

Pas de grand remplacement à l’horizon

Lydia Bouzar-Benlabiod fait une mise en garde : l’effet à long terme des IA sur l’apprentissage n’est pas encore connu.

Photo : Lydia Bouzar-Benlabiod

C’est l’un des débats les plus vifs autour de l’intelligence artificielle : va-t-elle mettre tout le monde au chômage et transformer les CV en simples décorations murales? L’automatisation de certaines tâches est une réalité : la traduction, la rédaction, le service client ou le design graphique sont déjà profondément transformés.

Mais l’idée d’une substitution totale des humains par des machines est exagérée. «L’IA ne nous remplace pas, elle nous oblige à évoluer», explique le spécialiste en markéting et créateur du balado AI Experience, Julien Redelsperger. «Ce sont surtout les tâches répétitives et standardisées qui disparaissent. Mais l’humain garde un rôle central, notamment sur la prise de décision, la créativité et la réflexion stratégique.»

Si la transformation du monde du travail est indéniable, un autre défi se dessine en parallèle : celui de l’apprentissage et du développement des compétences. Lydia Bouzar-Benlabiod, professeure adjointe à l’Université Acadia et chercheuse en IA appliquée à la santé, alerte sur un phénomène émergent : «Les enfants et les étudiants utilisent de plus en plus l’IA pour leurs devoirs et leurs examens. Cela soulève une question fondamentale : vont-ils perdre des compétences essentielles?»

D’autres interrogations découlent de cette question : «Qu’adviendra-t-il des générations qui auront grandi avec l’IA comme assistant permanent? Auront-elles suffisamment développé leur esprit critique, leur capacité à raisonner et à argumenter?»

Encore loin de la «singularité»

L’autre grande peur qui anime l’imaginaire collectif est celle de la «singularité», ce moment où l’IA deviendrait autonome et surpasserait l’intelligence humaine.

Julien Redelsperger rappelle que les êtres humains sont encore au centre des décisions créatives dans l’utilisation des IA. 

Photo : Courtoisie

Pour Julien Redelsperger, cette vision digne de Terminator reste caricaturale : «L’IA, ce n’est pas nouveau. Cela fait 60 ou 70 ans qu’on en parle, mais l’IA générative a soudainement accéléré le débat public. Aujourd’hui, c’est un outil puissant, mais encadré par l’humain.»

Lydia Bouzar-Benlabiod partage ce constat et rappelle une réalité simple : «L’idée d’une IA qui prendrait le pouvoir reste peu crédible. Ce sont des systèmes entièrement dépendants des données humaines. Si on débranche les serveurs, il n’y a plus d’IA.»

Le professeur titulaire à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke et spécialiste en cybersécurité, Hugo Loiseau, rappelle que nous avons tendance à anthropomorphiser l’IA, c’est-à-dire à lui attribuer des qualités humaines qu’elle n’a pas.

«L’IA actuelle est avant tout un outil d’optimisation, pas une entité consciente. Elle fonctionne sur des modèles statistiques qui lui permettent de prédire des résultats et de produire des textes ou des images, mais elle n’a pas de compréhension propre.»

Le fait que l’IA puisse répondre à des questions complexes, générer du texte fluide ou créer des images convaincantes ne signifie pas qu’elle réfléchit. Julien Redelsperger insiste sur cette distinction.

L’IA générative est bluffante parce qu’elle imite le langage naturel. Mais ce n’est qu’une imitation. Elle ne comprend pas ce qu’elle dit, elle prédit simplement les mots les plus probables. Elle est extrêmement performante dans la forme, mais elle reste totalement vide de fond.

— Julien Redelsperger

Comment tirer le meilleur de l’IA?

Au-delà des craintes, l’IA ouvre des perspectives prometteuses. Julien Redelsperger insiste sur les avancées que cette technologie permet déjà : «On parle beaucoup des risques et des arnaques, mais il y a aussi des avancées majeures. En santé, par exemple, on voit des progrès phénoménaux. Dans l’entrepreneuriat, cela booste l’innovation et l’économie. Et dans l’éducation, cela ouvre énormément de possibilités. Comme tout outil, c’est l’usage qui fait la différence.»

Cependant, ces opportunités s’accompagnent d’un besoin essentiel : apprendre à s’adapter. «Ce n’est pas la première révolution technologique, mais c’est certainement l’une des plus rapides et aux impacts les plus concrets.

Là où Google et les réseaux sociaux ont mis 10 à 15 ans à s’implanter dans nos vies, l’IA générative a bouleversé le quotidien de tout le monde en 12 à 18 mois. Cette vitesse fulgurante peut être effrayante, surtout pour ceux qui ne maitrisent pas ces outils.

— Julien Redelsperger

C’est pourquoi, selon lui, l’apprentissage continu est encore plus indispensable : «On ne peut plus se dire que ce qu’on a appris à l’école suffira pour toute notre vie. Il faut rester curieux, se former en continu, lire, écouter des balados, suivre des cours en ligne.»

Un cadre juridique encore flou

Si l’IA ne va ni remplacer ni surpasser l’humain de sitôt, elle soulève néanmoins des défis majeurs, notamment en matière de régulation.

«L’IA actuelle est avant tout un outil d’optimisation, pas une entité consciente», dit Hugo Loiseau. 

Photo : Michel Caron – Université de Sherbrooke

«Le problème, ce n’est pas la technologie elle-même, c’est son usage», souligne Hugo Loiseau. «Il faut se demander qui contrôle l’IA, qui en bénéficie et sous quel cadre. Le projet de loi C-27, qui devait mieux l’encadrer au Canada, est tombé avec la prorogation du Parlement. Pendant ce temps, l’Europe a déjà mis en place un cadre règlementaire basé sur différents niveaux de risques. Nous accusons un retard inquiétant.»

En l’absence de régulation stricte, l’IA peut être exploitée pour manipuler, tromper et amplifier les inégalités. Un encadrement clair devient donc une nécessité absolue.

Loin des scénarios de science-fiction, l’intelligence artificielle est avant tout un outil façonné par l’humain. Ni omnipotente ni hors de contrôle, elle reste une technologie à encadrer, adapter et comprendre. Ce n’est pas son existence qui pose problème, mais l’absence de garde-fous clairs, le manque de régulation et la vitesse à laquelle elle s’intègre dans tous les secteurs sans toujours mesurer les conséquences.

Type: Actualités

Actualités: Contenu fondé sur des faits, soit observés et vérifiés de première main par le ou la journaliste, soit rapportés et vérifiés par des sources bien informées.