Où sera l’Acadie dans dix ans? Tel était le thème d’un atelier du Réseau en immigration francophone du Nouveau-Brunswick (RIFNB), qui a eu lieu en formule hybride à la mi-mai.
Bien que le volet en présentiel de l’atelier se tenait à Petit-Rocher, au nord du Nouveau-Brunswick, il est intéressant de noter que les deux tiers des participants provenaient du Sud-Est de la province.
Comme l’a rappelé Marie-Josée Groulx, directrice de l’attraction et de l’intégration de la main-d’œuvre pour Opportunités Nouveau-Brunswick (ONB), la province s’est donné pour objectif d’attirer 33 % de francophones ou francophiles parmi les immigrants qu’elle accueillera d’ici 2024.
Un poids démographique fléchissant

Guillaume Deschênes-Thériault a dressé un état lieu et s’est livré à une analyse prospective.
Une telle politique est ambitieuse, mais nécessaire parce que les statistiques sont très éloquentes et incontestables. Au cours de la prochaine décennie, si rien n’est fait pour renverser la tendance, le pourcentage des francophones au Nouveau-Brunswick pourrait descendre sous le seuil symbolique des 30 %.
À l’horizon 2036, les francophones ne compteraient plus que pour 28,4 % de la population de la province.
Un tel scénario entrainerait de graves répercussions, tant sur le plan socioéconomique que politique.
«Les niveaux d’immigration francophone sont inférieurs à notre poids démographique : à l’heure actuelle, ils ne reflètent pas le paysage linguistique du pays et de la province», déplore Guillaume Deschênes-Thériault, doctorant en science politique et conseiller général du Village de Kedgwick, dans le nord du Nouveau-Brunswick.
Selon lui, «il faut accroitre l’immigration francophone de manière substantielle, mais s’assurer aussi de trouver des conditions favorables à la rétention et à l’intégration des nouveaux arrivants.»
Modifier les taux
Les précédentes tentatives offrent un éclairage sur les mesures à mettre en œuvre pour y arriver.
Adoptée en 2003, la cible fédérale de 4,4 % avait pour objectif de maintenir et même d’accroitre le poids démographique des francophones au Canada. Or, aucune étude n’avait été réalisée pour savoir cette si cette cible atteindrait cet objectif.
Une vingtaine d’années plus tard, force est de constater qu’elle ne pouvait que ralentir le déclin de la population canadienne d’expression française.
Si Guillaume Deschênes-Thériault tire la sonnette d’alarme, c’est pour éveiller les consciences par rapport à cet enjeu majeur et pour que des actions soient prises pour corriger le tir.
Certains facteurs, comme le vieillissement de la population et le faible taux de renouvèlement des générations, ne sont naturellement pas favorables à l’accroissement de la proportion francophone de la population.
En revanche, il est possible d’influencer positivement la courbe de la francophonie au moyen de l’immigration.
Pour ce faire, il ne faut pas se fonder uniquement sur ce qui se fait à l’échelle nationale. Vu qu’une cible de 6 % de francophones hors Québec se traduirait par un déclin continuel et une cible de 8 % par le statuquo, il faudrait une cible d’au moins 10 % pour reprendre le chemin de la croissance.
Or, celle-ci n’aurait pas le même effet dans toutes les provinces. Au Nouveau-Brunswick, par exemple, elle resterait insuffisante. Pour cette raison, la Ville de Fredericton s’est fixé un objectif minimal de 33 %.
«En modifiant les taux d’immigration francophone, on constaterait une reprise de notre croissance démographique, même si les autres facteurs, comme la natalité et le vieillissement de la population, demeuraient constants», estime Guillaume Deschênes-Thériault.
À la croisée des chemins, l’Acadie est-elle prête à relever le défi et à accueillir une diversité de locuteurs francophones qui font chanter la myriade d’accents de la langue de Molière?

Gérald Arseneault animait le forum.
Gérald Arseneault, président sortant de l’Association des enseignantes et des enseignants francophones du Nouveau-Brunswick (AEFNB), croit que oui. Selon lui, il faut cependant sensibiliser le public à cette question afin que les efforts en faveur de la francophonie soient concertés.
«Ce forum veut appuyer la prise de conscience progressive de la communauté et la sensibiliser à la question de l’immigration francophone», a-t-il déclaré.
Promouvoir l’enseignement en français auprès des immigrants
Ancien directeur d’école, Roger Doiron se dit préoccupé par le fait que beaucoup de nouveaux arrivants inscrivent leurs enfants dans le District scolaire anglophone Est plutôt que dans le District scolaire francophone Sud.
«Au Sud-Est, il y a beaucoup d’immigrants qui nous viennent des Bahamas et de la Jamaïque. L’anglais est leur première langue. Pour les Philippins, c’est leur langue seconde. Souvent, les parents ne savent pas ou ne comprennent pas qu’en envoyant leurs enfants dans les écoles anglaises, à moins qu’ils soient dans des classes d’immersion, ils n’en sortiront pas bilingues», dit-il.
Gérald Arseneault juge quant à lui la question primordiale. Selon lui, les parents n’ont pas à craindre que leur enfant ne sache pas parler anglais s’il n’est pas scolarisé dans un établissement anglophone.
Il est bien placé pour le savoir. Originaire de Kedgwick, son anglais se limitait à quelques mots quand il est arrivé dans la région de Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick. Il y est rapidement devenu bilingue. Il conseille donc aux employeurs d’orienter leur main-d’œuvre d’origine étrangère vers les écoles francophones.
«C’est impossible de ne pas apprendre l’anglais au Nouveau-Brunswick, s’exclame-t-il. Mon fils est né à Saint-Jean, il y a fréquenté une école francophone. Quand il en est sorti, vous ne pouviez pas savoir quelle langue il parlait à l’origine. Son anglais est absolument impeccable, il a même l’accent de la région.»