le Vendredi 9 mai 2025
le Samedi 15 mars 2025 6:30 Économie et finances

Les limites du commerce interprovincial au Canada

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Pour faire face aux tarifs américains de Donald Trump, faciliter le commerce interprovincial au Canada fait partie des solutions phares avancées par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Photo prise à Jaffray, en Colombie-Britannique  — Photo : Braeson Holland – Pexels
Pour faire face aux tarifs américains de Donald Trump, faciliter le commerce interprovincial au Canada fait partie des solutions phares avancées par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Photo prise à Jaffray, en Colombie-Britannique
Photo : Braeson Holland – Pexels
FRANCOPRESSE – Les barrières au commerce interprovincial n’ont jamais autant brillé dans l’actualité. Face aux tarifs américains, les provinces et territoires du Canada ont promis de se serrer les coudes et de faciliter le commerce intérieur. Mais à quel point cette mission est-elle réaliste?
Les limites du commerce interprovincial au Canada
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«Acheter canadien», «boycotter les produits américains»… encore faut-il que les produits canadiens trouvent aisément une place sur les étagères des magasins. Pendant des années, des barrières au commerce entre provinces et territoires ont représenté des manques à gagner de plusieurs millions de dollars à l’économie canadienne.

Lors d’une conférence de presse le 4 mars, Justin Trudeau a qualifié l’imposition de tarifs par le président américain Donald Trump de geste «stupide». Le premier ministre a demandé à la population canadienne de redoubler d’efforts pour soutenir l’économie canadienne. 

Photo : Marianne Dépelteau – Francopresse

Le 21 février, le gouvernement fédéral a annoncé qu’il allait éliminer la moitié de ses exceptions au libre-échange canadien. L’ensemble des provinces et territoires se sont engagés à faire leur possible pour lever leurs restrictions.

Le premier ministre canadien, Justin Trudeau, a rencontré ses homologues des provinces et territoires le 5 mars. Ils ont réitéré le besoin de «libéraliser encore davantage [le commerce] et de soutenir le marché canadien pour garantir la libre circulation des biens, des services et des travailleurs», a écrit M. Trudeau dans une déclaration le même jour.

À lire aussi : Commerce interprovincial : le Canada avance, tarifs ou non

Les barrières au commerce intérieur

Les barrières codifiées : Ces barrières sont des exceptions au commerce inscrites dans l’Accord de libre-échange canadien (ALEC), adopté en 2017. Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ont tous inclus des exceptions dans cet accord. Les restrictions en matière d’exportation de boissons alcoolisées sont un exemple classique.

Les barrières règlementaires : Elles ne sont pas inscrites dans l’ALEC, mais elles sont définies dans un règlement imposé par une province ou un territoire. Par exemple, les différentes compétences ont chacune une règlementation particulière portant sur la taille des emballages alimentaires.

Les tarifs : Il existe des taxes sur des produits venant d’autres provinces et territoires qui agissent comme des tarifs interprovinciaux. Des maires ont demandé la révision de ces tarifs dans les dernières semaines.

Protectionnisme provincial

«Nous sommes une fédération. Les provinces ont une grande latitude sur la façon dont elles gèrent leur économie», rappelle le professeur au Département d’agro-industrie et d’agroéconomie à l’Université du Manitoba, Jared Carlberg.

Celui-ci voit le commerce comme un jeu dans lequel les différents gouvernements doivent assurer une bonne exposition de leurs produits et éviter que les importations, même de la province voisine, fassent concurrence aux produits de chez eux.

Selon Yan Plante, la guerre tarifaire actuelle est une «occasion» pour la francophonie de développer son économie. 

Photo : Marianne Dépelteau – Francopresse

«Les barrières interprovinciales ont sensiblement la même raison d’être que les barrières internationales : pour pratiquer le protectionnisme et pour développer des industries au sein des provinces», explique l’économiste.

Les premiers ministres des provinces ont tous abordé dans leurs discours des dernières semaines la nécessité de contribuer à une économie canadienne forte et unie alliée au besoin de protéger les entreprises de leur région.

Certaines barrières ont de bonnes raisons d’exister, nuance Jared Carlberg. Mais l’idée générale de les réduire est bonne. «Il n’y a surement pas de très bonnes raisons pour lesquelles un camion commercial autorisé à rouler dans une province ne l’est pas dans une autre.»

Certaines barrières ne tomberont toutefois pas. Par exemple, pour protéger la langue française, la mobilité de la main-d’œuvre demeurera limitée au Québec.

«Le Québec veut accélérer les échanges commerciaux entre les provinces, tout en respectant ses particularités, notamment en matière de langue française et de règlementation», a écrit le premier ministre québécois François Legault dans une publication sur X.

Dans sa déclaration du 5 mars, Justin Trudeau a annoncé qu’«un plan pour la reconnaissance pancanadienne des titres de compétence qui tiendrait compte des particularités provinciales et territoriales, notamment sur le plan linguistique», allait être établi d’ici le 1er juin.

La vente d’alcool sera aussi facilitée, mais toutes les provinces ne s’engagent pas toutes à le faire : l’Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve veulent protéger leurs producteurs locaux.

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Tarifs interprovinciaux

La guerre tarifaire obligera probablement les provinces et territoires à venir en aide à leurs entreprises et leur population; cela se traduira par de nouvelles dépenses dans les budgets.

Ainsi, les budgets provinciaux et territoriaux risquent d’être encore plus déficitaires qu’avant la guerre tarifaire avec les États-Unis, comme l’annonce déjà Québec dans son cas.

Cela pourrait diminuer la volonté de baisser les tarifs entre provinces, car ils génèrent un certain revenu, explique Jared Carlberg. S’attaquer aux tarifs interprovinciaux serait davantage un objectif à moyen ou long terme.

Le président-directeur général du Réseau de développement économique et d’employabilité (RDÉE), Yan Plante, estime la valeur des tarifs interprovinciaux actuels de 7 à 20 %. «Il faut faire tomber ça», dit-il.

«Les entreprises ont le réflexe naturel et normal de faire leur commerce Nord-Sud quand il n’y a pas de tarifs.» La majorité de la population canadienne vit près de la frontière américaine. «C’est moins naturel ou instinctif de faire du commerce Est-Ouest si tu dois traverser trois provinces.»

Selon lui, ce trajet d’un océan à l’autre se fera plus naturellement s’il n’y a pas de barrières interprovinciales.

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Quelques chiffres

Des chiffres de Statistique Canada montrent qu’en 2023-2024, le cout du transport et la distance entre le point d’origine et la destination font partie des obstacles les plus fréquemment rencontrés par les entreprises canadiennes qui font des achats ou des ventes à l’extérieur de leur région.

Un faible pourcentage d’entreprises a déclaré que les lois linguistiques provinciales et territoriales constituaient un frein. C’est le cas notamment au Québec, mais pas seulement, selon des données obtenues par Francopresse.  En Ontario par exemple, 8,4 % des entreprises de «commerce de gros» qui ont fait des achats dans d’autres provinces ont été confrontées à cet obstacle.

Parmi les raisons pour lesquelles les entreprises canadiennes n’ont pas vendu de biens ou de services à une clientèle de l’extérieur de leur province ou territoire, le manque d’intérêt ou de nécessité arrive au premier rang. De 70,9 à 97,7 % des entreprises, selon la filière, ont évoqué ce motif.

«Il faut parler de la construction de pipelines»

D’après Jared Carlberg, faciliter le commerce interprovincial n’est pas suffisant face aux tarifs américains. «Retirer quelques millions de dollars de bouteilles de vin des étagères ne suffira pas. […] Il faut parler de la construction de pipelines et cultiver de nouveaux marchés.»

«On s’est trop longtemps fiés à un partenaire économique, c’était facile de le faire, estime Jared Carlberg. On est devenus paresseux.» 

Photo : Courtoisie

Le Canada «doit tirer parti de sa position avantageuse en tant que vendeur de gaz, de pétrole, d’uranium», avance Jared Carlberg. «On ne peut pas avoir des provinces qui refusent les pipelines à cause d’un électorat qui n’en veut pas. C’est un suicide économique.»

Il n’est pas seul à le penser : le chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre, a réitéré sa position favorable aux pipelines le 4 mars en conférence de presse. Des premiers ministres provinciaux, comme Danielle Smith de l’Alberta et Scott Moe de la Saskatchewan, appuient aussi la construction de gazoduc ou d’oléoduc.

Le tout nouveau chef du Parti libéral du Canada, Mark Carney, s’est montré favorable à la construction d’infrastructures énergétiques. En entrevue avec CBC, il a appuyé la construction de pipelines pour de l’énergie conventionnelle. Il a également assuré lors d’un entretien avec Radio-Canada, il y a quelques semaines, qu’il n’imposerait «jamais» de pipeline aux provinces.

Les ministres fédéraux Mélanie Joly et Jonathan Wilkinson ont affirmé qu’Ottawa devrait reconsidérer le projet d’oléoduc Énergie Est.

D’autres acteurs, tels que de nombreux groupes autochtones ou environnementaux et certains partis politiques, sont bien moins à l’aise d’appuyer la construction de pipelines.

Type: Actualités

Actualités: Contenu fondé sur des faits, soit observés et vérifiés de première main par le ou la journaliste, soit rapportés et vérifiés par des sources bien informées.

Corrections:

le Lundi 17 mars 2025 13:05:

Une précision a été apportée aux données sur la barrière linguistique. Ce sont bien 8,4 % des entreprises de «commerce de gros» qui ont fait des achats dans d’autres provinces qui rapportent avoir rencontré cet obstacles, et non 8,4 % de toutes ces entreprises.

Montréal

Marianne Dépelteau

Journaliste

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