le Samedi 19 avril 2025
le Mercredi 1 juin 2022 7:00 Chroniques et éditoriaux

Un sommet historique de 100 millions de réfugiés dans le monde

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Des Ukrainiens fuient l’agression russe à Przemyśl, en Pologne, le 27 février 2022. — Photo : Mirek Pruchnicki – Flickr CC BY 2.0
Des Ukrainiens fuient l’agression russe à Przemyśl, en Pologne, le 27 février 2022.
Photo : Mirek Pruchnicki – Flickr CC BY 2.0
FRANCOPRESSE – Selon les derniers chiffres publiés par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, il y a aujourd’hui plus de 100 millions de personnes déracinées malgré elles dans le monde, un chiffre inédit. Cette barre historique a été franchie avec l’afflux de réfugiés ukrainiens des derniers mois.
Un sommet historique de 100 millions de réfugiés dans le monde
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La situation est sans précédent. Plus de 100 millions de personnes déracinées, c’est-à-dire des réfugiés au sens de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, des demandeurs d’asile et des personnes déplacées.

La guerre en Ukraine explique en grande partie cette montée fulgurante puisque plus de six-millions d’Ukrainiens ont quitté leur pays, principalement des femmes et des enfants. L’ONU estime qu’ils pourraient être 8,3 millions d’ici la fin de l’année.

Rappelons qu’à la fin de 2021, soit il y a moins de six mois, le monde ne comptait «que» 90 millions de personnes déracinées.

Pour se rendre compte de l’ampleur de la situation, cela signifie que plus d’une personne sur 100 dans le monde a été forcée de prendre le chemin de l’exil. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) rappelle également que seulement 13 pays dans le monde ont une population supérieure à 100 millions.

Les raisons derrière ces chiffres

Des réfugiés récemment arrivés de Somalie montent dans un bus à destination du centre de transit dans un centre d’accueil de Dolo Ado, en Éthiopie, le 11 juin 2012.

Photo : UNICEF Ethiopia – Flickr CC BY-NC-ND 2.0

Le nombre de réfugiés est en forte augmentation en raison de conflits et qui se prolongent et de tensions toujours vives. On peut penser notamment à l’Afghanistan, au Myanmar et à la République démocratique du Congo (RDC), ou encore à l’Éthiopie et à la région du Sahel.

Le retour des talibans en Afghanistan a créé une nouvelle vague de réfugiés afghans à laquelle on ne prête pas beaucoup d’attention. Le conflit qui perdure dans la région du Tigré a forcé une bonne partie de la population à se déplacer dans les pays voisins. Les violences persistantes dans l’est de la RDC depuis maintenant plus de 30 ans poussent les gens à fuir. Depuis une décennie, la présence des djihadistes au Sahel, doublée de la crise alimentaire et des changements climatiques, a poussé sur les routes deux-millions de Sahéliens et de Nigérians.

Il faut souligner qu’il n’y a que très peu de guerres, au sens strict du mot, mise à part l’Ukraine. En revanche, il y a des guerres civiles avec des interventions étrangères ; c’est le cas du Yémen, de la Lybie ou encore de la Syrie.

L’est de la RDC représente un cas complexe. On y retrouve une quarantaine de groupes armés qui sèment la terreur dans la région, mais en sous-main, il y a aussi les actions du Rwanda et de l’Ouganda qui déstabilisent la région, une des plus riches du monde.

Les changements climatiques forcent aussi de plus en plus de populations à se déplacer.

Vestiges du lac Tchad en février 2015.

Photo : Peter Prokosch GRID-Arendal – Flickr CC BY-NC-SA 2.0

Il existe une sorte de cercle vicieux qu’illustre bien le lac Tchad, dont dépendaient 40 millions de personnes pour vivre. Or, en 40 ans, ce lac a perdu 90 % de sa surface, en forçant plusieurs à prendre le chemin de l’exil.

Cela déstructure les relations entre groupes, en plus d’accroitre la pression sur les ressources. Des tensions et parfois des conflits apparaissent parce que plus de personnes dépendent de ressources limitées dans une même région. Le djihadisme au Sahel ne fait que se greffer à cette situation.

Si nous rajoutons à cela les problèmes dans la chaine d’approvisionnement des produits agricoles à cause du conflit ukrainien, nous avons là tous les ingrédients expliquant la situation désastreuse dans laquelle nous sommes – une situation qui va s’empirer dans les prochains mois, à n’en pas douter.

Un système d’accueil à deux vitesses

Il faut rappeler que l’écrasante majorité des personnes réfugiées le sont dans les pays voisins, c’est-à-dire dans les pays du Sud. Il est complètement erroné de parler d’afflux de migrants ou de réfugiés dans les pays riches du Nord.

Un pays comme la Turquie a plus de 3,5 millions de personnes déplacées sur son sol, rien à voir avec la situation que connait le Canada ou un quelconque pays européen.

Ensuite, il y a ce traitement différencié qui a bien été exposé avec la situation en Ukraine.

Des Ukrainiens fuient l’agression russe à Przemyśl, en Pologne, le 27 février 2022.

Photo : Mirek Pruchnicki – Flickr CC BY 2.0

Le Canada a déjà approuvé plus de 120 000 demandes de visa de résidence temporaire d’Ukrainiens, qui est accompagné d’un permis de travail ouvert. Ils ne viennent pas à titre de réfugiés au Canada, même s’ils pourront déposer une demande à leur arrivée au pays.

Les Européens ont fait de même en activant leur système de protection temporaire. En vertu de ce système, les Ukrainiens ont des droits de séjour et de travail, et un accès au logement, aux services de santé et d’éducation pour au moins un an et jusqu’à 3 ans.

Cette solidarité est belle à voir, mais elle contraste fortement avec le traitement des migrants provenant des pays du Sud. Le Canada a beau avoir affiché l’ambition d’accueillir 40 000 réfugiés afghans, un an plus tard, seules quelques 10 000 demandes ont été approuvées.

En Europe, un record a été battu le lundi 23 mai : quelque 600 migrants répartis sur neuf embarcations nautiques ont été refoulés par la Grèce. Ce refoulement s’inscrit en contravention directe de la Convention de Genève, qui oblige les pays signataires à étudier les demandes d’asile.

En plus de ce traitement différencié, il faut s’interroger sur la sélection des crises. Pourquoi le Canada n’a-t-il pas lancé un programme d’accueil pour les deux millions de personnes déplacées au Sahel? Sont-elles trop francophones?

Il y a urgence à développer une éthique de la responsabilité en matière d’accueil des réfugiés.

Aurélie Lacassagne est politologue de formation et professeure invitée à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales (ÉSAPI) de l’Université d’Ottawa.

Aurélie Lacassagne

Chroniqueuse