le Vendredi 9 mai 2025
le Mercredi 5 mars 2025 6:30 Chroniques et éditoriaux

La Francophonie et l’appui aux langues autochtones

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Même en ayant leur part de torts dans le traitement des Premières Nations, les francophones peuvent apporter leur appui à la conservation des langues autochtones.  — Photo : Francois Le Nguyen – Unsplash
Même en ayant leur part de torts dans le traitement des Premières Nations, les francophones peuvent apporter leur appui à la conservation des langues autochtones.
Photo : Francois Le Nguyen – Unsplash
CHRONIQUE – En ce mois de la Francophonie, le pays est appelé à souligner la place du français et des francophones. Cette célébration doit toutefois être liée à un soutien aux peuples autochtones, pour ne pas oublier que la présence continue du français au Canada est attribuable en partie à la destruction des langues autochtones.
La Francophonie et l’appui aux langues autochtones
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L’effet des politiques d’éducation

Pendant 160 ans, le gouvernement canadien et plusieurs églises chrétiennes ont mené un projet d’assimilation culturelle et linguistique à l’endroit des peuples autochtones. Ils ont forcé environ 150 000 enfants à vivre, étudier et travailler en anglais ou en français.

Des conditions similaires existaient dans les externats (ou écoles de jour), où régnaient les mêmes enseignements racistes et dégradants et les mêmes interdictions de parler les langues autochtones.

Hors du Québec, là où des francophones géraient les écoles ou enseignaient aux enfants en anglais, les adultes pouvaient parler français et continuer de vivre en français. Une énorme masse de documents atteste que les catholiques francophones travaillaient la plupart du temps en français.

Les enfants les entendaient donc se parler en français et pouvaient apprendre quelques mots de la langue… surtout ceux qui les dénigraient (on m’a ainsi souvent parlé de l’impact négatif du mot «sauvage»).

Au-delà des pensionnats, les autorités politiques, religieuses et sociales ont également mené une attaque en règle contre les langues et les cultures autochtones.

Les économies autochtones ont été décimées, notamment par l’occupation et l’exploitation des terres par les Européens, par la mise en place du système de laissez-passer et par la pratique systématique de destruction des efforts de développement économique au niveau communautaire. Sans oublier les épidémies.

Pour avoir la possibilité de participer à la société dominante, là où il n’y avait pas de pensionnats ou d’externats, les enfants autochtones devaient aller à l’école hors des réserves. Il leur était donc impossible de recevoir une éducation dans leur langue qui serait reconnue par la société dominante. Cette possibilité est en fait très récente.

À lire : Comment mieux informer les nouveaux arrivants sur les communautés autochtones?

Assimilation et génocide

Ceci dit, le terme «assimilation» ne suffit pas pour parler de ces politiques d’éducation. Il serait trop facile de mettre côte à côte les politiques à l’endroit des peuples autochtones et celles à l’endroit des communautés issues de l’immigration européenne – canadienne-française, françaises, belges, certes, mais également d’Europe centrale et de l’Est, visées par la même politique d’éducation en anglais.

Il est question ici de génocide. La Commission de vérité et réconciliation du Canada a parlé de «génocide culturel» pour nommer la logique des pensionnats et leurs conséquences sur les peuples autochtones.

Toutefois, nous devons voir les pensionnats comme une seule institution aux côtés des autres : les externats, les écoles mixtes, le système de laissez-passer, la Loi sur les Indiens, l’interdiction des pratiques spirituelles et culturelles, la destruction des économies, l’emprisonnement et la criminalisation, les déplacements forcés

Dans les pensionnats autochtones anglophones, pendant que les jeunes ne pouvaient pas utiliser leur langue, les francophones qui leur enseignaient pouvaient parler français. 

Photo : P199 – Wikimedia Commons

Langues officielles et langues autochtones

L’assimilation linguistique est ainsi l’une des composantes du génocide des peuples autochtones qui continue aujourd’hui, bien au-delà de la culture. Les langues autochtones ne sont pas «en danger», elles ne «disparaissent» pas : elles ont été longtemps attaquées directement, suivant l’objectif de les faire disparaitre avec les peuples autochtones.

Aujourd’hui, le manque d’un appui sérieux à leur développement limite les moyens pour contrer leur destruction et solidifier leur transmission.

Un déséquilibre important existe entre l’appui au français en situation minoritaire, et l’appui aux langues autochtones. Si les sommes d’argent peuvent paraitre comparables, il faut se rappeler que le soutien à l’éducation en français s’ajoute aux budgets provinciaux, tandis que le gouvernement fédéral finance entièrement les écoles dans les réserves.

Plus grave encore, ces écoles sont sous-financées et plusieurs ont besoin de rénovations importantes, et les gouvernements dépensent moins pour les enfants autochtones que pour les enfants qui vivent hors des réserves.

À lire : Langues autochtones : C-13 a «manqué le bateau»

Solidarité et politiques linguistiques

Nous avons certes appris à reconnaitre «la présence et l’apport millénaire des peuples autochtones sur le continent nord-américain». Après tout, les langues autochtones font partie du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, mais surtout des peuples autochtones eux-mêmes. Par la manière dont elles nomment, décrivent et présentent l’environnement non humain, elles permettent de sortir des relations coloniales avec les territoires occupés par le Canada.

Toutefois, entre une reconnaissance, un rappel symbolique et un appui, voire une véritable solidarité, assez de pas ont été faits : il est plutôt temps de se mettre en marche et de commencer le travail.

Un véritable soutien aux langues autochtones commence évidemment par la création de relations, de liens plus serrés et de solidarités entre les groupes minorisés au niveau linguistique.

Ce soutien doit servir les objectifs déjà décidés et partagés par les peuples autochtones, et avoir lieu dans le respect de leur souveraineté en tant que peuples.

Après tout, de nombreuses initiatives existent déjà : rassemblements de gardiens et gardiennes des langues, forums en milieu urbain, sommets internationaux, écoles d’immersion et maints projets de revitalisation au niveau des communautés, dont les programmes de mentorat ainsi que la Décennie internationale des langues autochtones.

Ainsi, la création de politiques linguistiques communautaires qui incluent explicitement une solidarité avec les peuples autochtones du territoire de chaque communauté francophone permettrait de contribuer à la défense des droits des peuples autochtones, qui incluent les droits linguistiques. Aussi d’envisager ce que pourraient signifier des réparations de la part des francophones.

Bref, nous devons repenser les langues officielles. Celles-ci ont été, et demeurent, des langues de colonisation. Les penser en isolement des langues autochtones, c’est continuer les aspects linguistiques du colonialisme.

À lire : La francophonie veut aider les peuples autochtones à faire reconnaitre leurs langues (Le Nunavoix)

Jérôme Melançon est professeur titulaire en philosophie à l’Université de Regina. Ses recherches portent généralement sur les questions liées à la coexistence, et notamment sur les pensionnats pour enfants autochtones, le colonialisme au Canada et la réconciliation, ainsi que sur l’action et la participation politiques. Il est l’auteur et le directeur de nombreux travaux sur le philosophe Maurice Merleau-Ponty, dont La politique dans l’adversité. Merleau-Ponty aux marges de la philosophie (MétisPresses, 2018).

Type: Opinion

Opinion: Contenu qui avance des idées et qui tire des conclusions fondées sur une interprétation des faits ou des données émanant de l’auteur.

Jérôme Melançon

Chroniqueur