Selon Martin Bouchard, à la direction générale du Comité FrancoQueer de l’Ouest (CFQO), certains gouvernements provinciaux, comme au Nouveau-Brunswick avant l’élection de 2024, en Alberta ou en Saskatchewan, exploitent les enjeux queers à des fins électoralistes, «pour satisfaire une base plus conservatrice qui permet de les reconduire au pouvoir».

Selon Martin Bouchard, plutôt que de diffuser des discours sans fondement scientifique, des informations telles que la surreprésentation de l’itinérance chez les jeunes 2SLGBTQ auraient par exemple plus de poids auprès des gouvernements.
«Le conservatisme social reprend un peu sa place au sein des partis de droite au Canada, après environ deux décennies d’opposition plus tempérée aux droits LGBTQ+», confirme le doctorant en science politique à l’Université Concordia, à Montréal, Francesco MacAllister-Caruso.
Pour lui, la stratégie politique derrière ce type de discours n’est pas surprenante, ce qui l’est plus, c’est «la volonté de certains chefs de droite au Canada d’alimenter leur discours avec de la désinformation et de la mésinformation, et ce, même lorsqu’on a des données probantes pour contrer les arguments».
Aucun des élus du Parti conservateur du Canada contactés par Francopresse n’a donné suite à nos demandes d’entrevue.
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Désinformation ou mésinformation?
La désinformation désigne une information erronée ou déformant la réalité, créée dans le but de manipuler ou de tromper.
Francesco MacAllister-Caruso prend l’exemple de propos tels que : «Les femmes trans sont une menace à la sécurité des femmes cisgenres, surtout dans les salles de bain; les professionnels de l’éducation et de la santé tentent d’imposer la diversité de genre sur les jeunes et les forcer à transitionner.»
La mésinformation renvoie, elle, à une information incorrecte ou trompeuse, considérée comme véridique qu’une personne partage sans mauvaise intention.
«Les parents sont exclus de la prise de décision ou du processus de transition; les jeunes personnes trans subissent des chirurgies génitales, etc. Ce sont des propos qui sont fondés sur un manque d’informations», explique le doctorant.
«Bonne cible»
Lorsque des gouvernements tiennent des discours antiqueers, cela encourage les gens à reprendre cette rhétorique et à se l’approprier, observe Martin Bouchard.

«On a vu au cours des dernières années plusieurs politiques ou propositions à différents niveaux de gouvernement qui visaient à restreindre ou limiter les droits des personnes trans», remarque Francesco MacAllister-Caruso.
«Je ne pense pas que les gens sont mauvais en tant que tel quand ils reprennent ces discours. Je pense que c’est une mésinformation pure et simple.»
Francesco MacAllister-Caruso rappelle que les personnes transgenres ou non binaires représentent environ 0,33 % de la population canadienne. «Ce qui les rend une bonne cible pour un mouvement réactionnaire qui tente de propager de fausses informations pour limiter leur droit.»
Au Nouveau-Brunswick, le directeur général d’Alter Acadie, Alex Arseneau, estime que la campagne électorale de l’ancien premier ministre progressiste-conservateur provincial, Blaine Higgs, candidat à sa réélection, s’est faite «sur le dos des jeunes personnes trans».
Le gouvernement progressiste-conservateur de la province soutenait aussi que «les soins affirmant le genre [étaient] dangereux pour les enfants».
Or, «les recommandations médicales qui concernent les soins d’affirmation du genre pour des jeunes sont non seulement fondées sur des recherches rigoureuses, mais c’est tout le temps dans un long processus qui implique les parents».
«Il n’y a pas de médecin au Canada qui opère des enfants, des mineurs, sans [le consentement des parents]», insiste-t-il.
Aux yeux d’Alex Arseneau, les personnes 2SLGBTQIA+ constituent des «boucs émissaires» et les médias sociaux amplifient ces discours de désinformation. «Tout le monde n’a pas accès à des informations fiables, mais tout le monde a accès à Facebook.»
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Déconstruire les mythes
Dans une de ses publications, l’organisme torontois FrancoQueer déconstruit différents mythes qui nourrissent les discours hostiles à la communauté 2SLGBTQIA+, comme celui selon lequel «l’homosexualité est un choix».
«La science a montré que l’orientation sexuelle et l’identité de genre ne sont pas un choix. En dépit des nombreuses tentatives de “conversion” effectuées par des établissements médicaux, juridiques et religieux pendant des décennies, la recherche montre qu’elles sont inefficaces et même nuisibles», explique le rapport.
«Il est facile de provoquer la peur dans la population en propageant de tels mythes, dont celui que les personnes 2SLGBTQIA+ sont prédatrices d’enfants», note encore l’organisme.
Ainsi, «la peur et la désinformation peuvent être instrumentalisées pour servir des objectifs politiques», affirme le rapport.
«Faire peur au monde»
«C’est des informations pour détourner l’attention des vrais problèmes. […] Les conservateurs du Nouveau-Brunswick ne peuv[ai]ent pas se baser sur leur bilan. Donc, il faut qu’ils passent par la panique morale, la désinformation, faire peur au monde», analyse Alex Arseneau.

Alex Arseneau se dit inquiet pour les prochaines élections fédérales et de «l’impact croissant des mouvements antiqueer».
«Ces discours-là trouvent des échos en exploitant des peurs profondes liées à des changements sociaux rapides que tout le monde n’est pas un peu up-to-date avec. Ils vont chercher ce qui est plus nouveau et qui est mal compris. […] Ils déforment des enjeux complexes, qui sont émotionnellement chargés.»
«Ils associent la transidentité à des opérations du corps, au scalpel, à la peur de se faire ouvrir. […] Il y a aussi le fait d’associer l’homosexualité à la sexualité. Ils pensent qu’on enseigne la pornographie aux enfants», ajoute-t-il.
«Je dirais que c’est comme ça qu’ils gagnent les votes. Y’a rien qui fait plus voter qu’avoir peur ou haïr.»
Meta modifie sa politique de modération des contenus
La société mère de Facebook et d’Instagram a annoncé, au début de janvier, qu’elle mettait fin à son programme de vérification des faits aux États-Unis.
Les utilisateurs et utilisatrices de ces plateformes peuvent désormais tenir des propos diffamatoires qui lient l’identité de genre à la santé mentale, par exemple.
«Meta a choisi de normaliser les discours haineux envers les personnes 2ELGBTQIA+ et c’est complètement inacceptable», a réagi sur sa page Facebook Alter Acadie NB.
Le Comité FrancoQueer de l’Ouest (CFQO) a également condamné par communiqué ce changement, qu’il qualifie d’«attaque directe contre des populations déjà marginalisées et met gravement en péril leur sécurité et leur bienêtre».
Campagne de communication
Martin Bouchard concède que la communication sur ces thèmes de la première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, est bonne. «Ils ont des spin doctors de talent.»
Il fait notamment référence à l’un de ses discours où elle défendait sa politique en assurant justement qu’elle était là pour protéger les jeunes de la communauté 2SLGBTQIA+.
«Ça avait l’air empreint de bienveillance. Si j’étais quelqu’un qui ne connait pas du tout ces enjeux […] je me dirais : “Ah ben, elle a à cœur les jeunes trans non binaires. Elle a mon vote.”»
«Il faut commencer à s’organiser parce qu’il y a de l’argent qui est mis là-dedans. [La droite et les conservateurs en général] sont forts en communication, ils sont organisés. Puis nous, on court après l’argent des gouvernements. […] C’est David contre Goliath», illustre le directeur général.
Pour lutter contre la désinformation, le CFQO croit à la sensibilisation par le témoignage. «Quand une personne se présente devant un groupe et partage son histoire, c’est ça qui contribue un peu à changer les mentalités», estime Martin Bouchard.
Au Nouveau-Brunswick, Alter Acadie s’attache à «trouver des messages qui sont plus forts que [ceux des conservateurs]» : «La sensibilisation, la mobilisation passe par la communication», confie Alex Arseneau, y compris au-delà du cercle 2SLGBTQIA+.
«On a développé des partenariats avec des associations d’enseignants, de parents, d’élèves, des syndicats des travailleurs», détaille le directeur général. L’organisme a aussi mis sur pied une boite à outils à destination des parents notamment.
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Élections fédérales à venir
Alex Arseneau se dit inquiet pour les prochaines élections fédérales et de «l’impact croissant des mouvements antiqueer qui exploitent des discours populistes, comme Poilievre ou Trump».
«Ça va non seulement continuer à diviser la société, mais ça va mettre en danger les acquis des communautés marginalisées.»
«Ces discours-là détournent l’attention des vrais enjeux. […] Chaque fois que quelqu’un de la droite veut parler des droits des personnes trans, parle-lui des changements climatiques, parle-lui de la crise du logement, parle-lui des prix de la bouffe au Canada», suggère-t-il.
«Il est temps de parler de solutions, puis arrêter de parler de toilettes.»