le Vendredi 18 avril 2025
le Mercredi 12 février 2025 6:30 Actualité

Le Canada a besoin d’une nouvelle commission royale d’enquête sur l’avenir économique

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Face à une menace qui n’est pas prête de disparaitre, la population canadienne doit discuter de l’économie qu’elle veut pour son avenir.  — Photo : Maarten van den Heuvel – Pexels
Face à une menace qui n’est pas prête de disparaitre, la population canadienne doit discuter de l’économie qu’elle veut pour son avenir.
Photo : Maarten van den Heuvel – Pexels
CHRONIQUE – En ces temps plus qu’incertains, permettez-moi de faire un bref retour dans le passé afin de peut-être éclairer la voie à suivre pour l’avenir du Canada.
Le Canada a besoin d’une nouvelle commission royale d’enquête sur l’avenir économique
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Revenons en 1982, alors que le libéral Pierre Elliott Trudeau est premier ministre du Canada. Il décide cette année-là de mettre sur pied une commission royale d’enquête dont le mandat est de se pencher sur les défis économiques qui attendent le Canada à l’aube du XXIe siècle.

Nait ainsi la Commission royale d’enquête sur l’union économique et les perspectives de développement du Canada.

Aussi connue sous le nom de Commission Macdonald, du nom de son président Donald S. Macdonald, celle-ci remet son rapport en 1985 au nouveau gouvernement conservateur de Brian Mulroney. Ce dernier en accepte les recommandations, dont la plus controversée : négocier un accord de libre-échange avec les États-Unis. Un tel accord assurera la prospérité du Canada, dit le rapport.

La négociation est cependant difficile. Les États-Unis sont en position de force. Leur économie produit dix fois plus de biens et de services que la nôtre.

Ils sont aussi moins dépendants du commerce extérieur que le Canada. Notre marché domestique est trop petit pour absorber tous les biens et services que nous produisons. Les États-Unis peuvent se passer d’un partenaire économique plus facilement que nous. L’abolition des tarifs douaniers ferait nécessairement des gagnants et des perdants.

Plus les négociations avancent, plus l’absence de consensus clair sur la question au Canada devient évidente.

Cet accord pourra-t-il véritablement accroitre la richesse de notre pays, comme le soutient la commission? Qui en profitera? Qui en subira les conséquences négatives? À combien se chiffreront les pertes d’emploi? Les fermetures d’entreprises? Le gouvernement fournira-t-il une aide? Ces questions, et bien d’autres, sont soulevées.

Le sujet est à ce point contentieux que Brian Mulroney décide de déclencher des élections générales en 1988 sur ce thème. Voter conservateur, c’est voter pour le libre-échange.

Les conservateurs sont réélus et un accord de libre-échange avec les États-Unis est mis en œuvre dès 1989. Le Mexique se joindra à cet accord en 1994, ce qui créera l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA).

Le traité sera renégocié à la demande des États-Unis en 2018, sans grandes modifications, pour devenir l’Accord Canada-État-Unis-Mexique (ACEUM).

À lire : L’économie franco-canadienne doit se tourner vers l’est et l’ouest

Le libre-échange a-t-il rempli ses promesses?

L’ALÉNA a mené à de profondes transformations économiques. Certaines industries ont presque complètement disparu du paysage canadien, comme l’industrie du textile. D’autres ont dû revoir de fond en comble leurs modèles d’affaires, comme le secteur de l’automobile.

Sommes-nous aujourd’hui plus prospères grâce à l’ALÉNA? Il est difficile de répondre à cette question, car on ne peut pas savoir ce qui se serait passé si cet accord n’avait pas été conclu.

Par contre, le Canada n’est pas moins prospère aujourd’hui qu’il ne l’était avant la mise en œuvre de cet accord. Nous nous sommes très certainement enrichis collectivement.

Cependant, est-ce que cet enrichissement a profité à tous les Canadiens et Canadiennes? Comme ailleurs sur la planète, on constate que les inégalités se creusent. Est-ce que ces inégalités sont le résultat du mouvement de libéralisation du commerce mondial que nous observons depuis environ 30 ans?

Ce n’est pas impossible, car les accords de libre-échange mettent l’accent sur la réduction du cout des produits achetés par les consommateurs et non sur la création d’emplois bien rémunérés. Ce pourrait bien être l’une des explications de la montée des inégalités.

Plusieurs personnes ont perdu de bons emplois. Par exemple, le nombre de personnes salariées travaillant dans la fabrication de véhicules et de pièces automobiles a chuté de 25 % entre 2001 et 2024 au Canada, selon les données compilées par Statistique Canada.

Oui, la rémunération dans ce secteur manufacturier a augmenté plus rapidement que l’inflation, mais cette hausse profite à moins de gens.

Il ne faut donc pas se surprendre si certaines personnes ne voient pas la mondialisation d’un bon œil.

À lire : Réimaginer l’économie au-delà de la croissance du PIB (chronique)

Retour de vieilles inquiétudes

On constate que le débat actuel provoqué par la politique commerciale du nouveau président américain Trump ressemble beaucoup à celui qui avait cours dans les années 1980 : faut-il renforcer ou non nos échanges avec les États-Unis?

Tout comme l’élection fédérale canadienne de 1988, celle de 2025 portera sans aucun doute sur un seul sujet, soit l’avenir de notre politique commerciale internationale.

Déjà, on entend plusieurs politiciens et politiciennes proposer différentes initiatives : diversifier nos marchés, relancer d’anciens projets de gazoducs, augmenter nos dépenses d’infrastructures, notamment dans le secteur de la défense, renforcer le commerce interprovincial, changer le processus d’appel d’offres pour les contrats publics, etc.

Il y a actuellement un sentiment d’urgence justifié. Il faut dire que la menace est réelle et immédiate.

Par contre, faut-il décider dans la hâte? La question est légitime, car si on veut vraiment réduire notre dépendance au marché américain, nous devrons prendre d’importantes décisions qui auront des conséquences pour les décennies à venir.

En 1982, le gouvernement avait jugé opportun de constituer une commission royale d’enquête. Pourquoi ne pas refaire le même exercice 40 ans plus tard? D’autant plus que le monde dans lequel nous vivons a bien changé.

Dans les années 1980, l’Internet n’existait pas et la question des changements climatiques commençait à peine à être abordée. On s’inquiétait alors des pluies acides et de la couche d’ozone, et non du réchauffement du climat.

Une Commission royale d’enquête sur l’avenir économique du Canada permettrait donc à l’ensemble du pays de réfléchir à ces questions et de discuter de pistes de solution.

Elle permettrait aussi d’analyser les effets de l’ALÉNA, ce que nous avons oublié de faire. A-t-on obtenu ce que nous espérions? Le libre-échange profite-t-il à tous? Est-il encore pertinent dans un contexte de crise climatique? De tensions militaires? Et ainsi de suite.

Il reste à voir quel premier ministre serait tenté de lancer un tel exercice de réflexion. Car ce ne sera pas de tout repos. Encore une fois, il y aura des gagnants et des perdants. Sommes-nous prêts à mener un tel exercice?

À lire : Prix Nobel d’économie 2024 : l’importance des institutions pour la prospérité (chronique)

Geneviève Tellier est professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Ses recherches portent sur les politiques budgétaires des gouvernements canadiens. Elle commente régulièrement l’actualité politique et les enjeux liés à la francophonie dans les médias de tout le pays.

Type: Opinion

Opinion: Contenu qui avance des idées et qui tire des conclusions fondées sur une interprétation des faits ou des données émanant de l’auteur.