Un mois après qu’Environnement et Changement climatique Canada ait publié son Plan de réduction des émissions pour 2030 : Prochaines étapes du Canada pour un air pur et une économie forte, le commissaire à l’environnement adresse des reproches au ministère ainsi qu’à Ressources naturelles Canada.
Il doute que le pays soit capable de respecter son nouvel objectif de diminution des émissions de gaz à effet de serre de 40 % par rapport au niveau de 2005.
Dans le premier de ses cinq rapports, le commissaire souligne que le gouvernement n’était pas prêt à appuyer une transition équitable vers une économie à faibles émissions de carbone, à cause du manque de mesures d’aide pour les travailleurs et collectivités du pays.

Jerry DeMarco, Commissaire à l’environnement et au développement durable, a déposé cinq rapports sur la gestion de l’environnement du gouvernement fédéral.
Quatre provinces productrices de charbon sont particulièrement visées : l’Alberta, la Saskatchewan, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse. Selon ce rapport, il y aurait plus de 50 collectivités qui vivent de l’industrie du charbon à l’échelle du pays et quelque 170 000 emplois directs qui en dépendent.
La transition pourrait ainsi avoir des répercussions sur les salaires, les prestations de retraite et les avantages sociaux des travailleurs, ainsi que sur l’assiette fiscale municipale qui finance les services communautaires.
En 2017, en signant la Déclaration de l’Alliance : Énergiser au-delà du charbon, le gouvernement s’était pourtant engagé à l’international à assurer une transition durable et économiquement inclusive pour les travailleurs de l’industrie du charbon et les collectivités et à leur fournir un soutien approprié.
En 2021, le Canada s’est engagé sur deux plans : mettre fin aux exportations de charbon thermique, qui sert à produire de l’électricité, d’ici 2030 et atteindre la carboneutralité (zéro émission nette) d’ici 2050.
Absence de plan et de gouvernance
Si le Canada n’a pas été jugé prêt selon le rapport, c’est parce que le pays ne dispose ni de plan fédéral pour aller vers une économie à faibles émissions de carbone ni de structure de gouvernance pour soutenir les personnes qui travaillent dans ce secteur.
C’était pourtant l’un des engagements pris par les signataires de l’Accord de Paris en 2015, dont le Canada fait partie.
Le gouvernement accuse un retard dans la mise en œuvre d’un plan de presque huit ans, la prochaine échéance est dans 8 ans, en 2030.
Un plan de transition aurait permis une approche claire et coordonnée du fédéral pour éviter que les travailleurs et les collectivités ne connaissent de difficultés et «qu’ils puissent continuer de contribuer à l’économie», poursuit le rapport.

Steven Guilbeault, ministre d’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques Canada, réagit à la publication des rapports du Commissaire à l’environnement et au développement durable.
Le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, a précisé en conférence de presse qu’un projet de loi s’en venait «dans un futur proche». Les fonctionnaires de Ressources naturelles Canada ont d’ailleurs indiqué que la pandémie avait retardé un tel projet de loi en 2020, ce qui est noté dans le rapport du commissaire.
«Je ne sais pas si le gouvernement promet cela parce qu’on a fait l’audit, se demande Jerry DeMarco en entrevue avec Francopresse, mais le Canada est capable de gérer une transition équitable. Je ne sais pas pourquoi ça leur prend aussi longtemps. Ça va rendre leur travail plus difficile, car il va y avoir plus de polarisation du débat.»
Appui sur des programmes de soutien inadaptés
En plus du manque de plan de transition et de gouvernance, le commissaire reproche au gouvernement fédéral de s’être appuyé sur une série de programmes de soutien génériques déjà en place. Or, ces programmes sont inadaptés à la diversité des besoins des travailleurs du secteur du charbon.
Aussi, les prestations de l’assurance-emploi sont insuffisantes [vu qu’elles ne correspondent qu’à 55 % des revenus] et il n’y a actuellement aucun programme d’aide de retour à l’emploi ni aucune protection des régimes de retraite.
Le commissaire recommande que le gouvernement offre un soutien au revenu, des occasions de formation et de perfectionnement des compétences et de recyclage professionnel, une orientation vers des emplois bien rémunérés, y compris des emplois verts, des mesures d’aide pour le retour à l’emploi, des politiques sociales pour des emplois équitables pour les personnes issues de tous les horizons, ainsi qu’une garantie de protection et de sécurité pour la retraite.
Quant aux collectivités, des fonds ont été versés à des entreprises pour soutenir la transition. Or, le rapport du commissaire constate que dans plusieurs cas, peu de projets de transition ont en fait été financés.
En Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick, l’Agence de promotion économique du Canada atlantique a versé 35 % des fonds fédéraux dédiés à la transition vers moins de sources charbon à des entreprises et 22 % à des organismes sans but lucratif pour soutenir l’activité commerciale à long terme.
«Toutefois, de nombreux projets n’avaient pas de lien avec la transition de l’industrie du charbon. Par exemple, un projet visait à rénover une installation collégiale pour y aménager des logements estivaux pour les travailleurs saisonniers dans la région», mentionne le rapport.
Manque de fiabilité du gouvernement
Les quatre autres rapports du commissaire à l’environnement font état d’un manque d’action et d’informations, malgré la mise en place de plusieurs mesures, et du fait que le gouvernement fédéral se bercerait d’illusions depuis la signature de l’Accord de Paris.
Selon l’un des scénarios illusoires du gouvernement, le Secrétariat du Conseil du Trésor aurait bien mis en place la Stratégie pour un gouvernement vert. Les émissions directes de 27 ministères auraient chuté de 40,6 % en 2020‑2021 par rapport au niveau de référence de l’exercice 2005‑2006.
Or, l’audit du commissaire à l’environnement révèle qu’il manque certains détails sur les plans du gouvernement. Il manque aussi les émissions de GES indirectes des ministères et les émissions des sociétés d’État.
Selon un autre rapport du commissaire, intitulé Le potentiel de l’hydrogène pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, Environnement et Changement climatique Canada s’est servi d’une «approximation inadéquate» pour modéliser la demande en hydrogène dans son plan fédéral. L’indicateur «ne reposait pas sur une politique provinciale ou fédérale existante. […] Cette faiblesse [de la modélisation] remet en question le caractère plausible et réalisable de cette voie de réduction des émissions».
En conférence de presse, Jerry DeMarco a précisé qu’«une question générale s’est posée ici parce que nous examinions l’hydrogène, mais nous avons décidé d’inclure [le manque de transparence] dans le rapport, car cela soulève des inquiétudes quant à leur approche globale de la modélisation climatique et des réductions d’émissions».
Ce rapport souligne que les émissions de gaz à effet de serre au Canada ont «considérablement augmenté» depuis la signature de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques en 1992, «ce qui en fait le pays le moins performant du G7 depuis».