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le Vendredi 18 mars 2022 7:30 Arts et culture

Élections en Ontario : les arts francophones se préparent pour mieux se faire entendre

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Les trois panélistes franco-ontariens sont tous tombés d’accord : le bilan conservateur de Doug Ford est «mitigé» pour la culture. — Kyle Head – Unsplash
Les trois panélistes franco-ontariens sont tous tombés d’accord : le bilan conservateur de Doug Ford est «mitigé» pour la culture.
Kyle Head – Unsplash
FRANCOPRESSE – Les élections provinciales ontariennes auront lieu le 2 juin prochain. Pour faire valoir les revendications du secteur culturel franco-ontarien, l’Alliance culturelle de l’Ontario (ACO) a organisé le 16 mars un panel réunissant des acteurs du milieu. Il y a été question du bilan des quatre ans du gouvernement conservateur de Doug Ford, des deux ans de pandémie et des manières de s’assurer que le secteur sera entendu des prochains élus.
Élections en Ontario : les arts francophones se préparent pour mieux se faire entendre
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Les trois panélistes franco-ontariens sont tous tombés d’accord : le bilan conservateur de Doug Ford est «mitigé» pour la culture.

Au cours des dernières années, les conservateurs ont sacrifié les secteurs de la culture qui avaient moins de force de lobby, selon Joël Beddows, professeur au Département de théâtre de l’Université d’Ottawa.

«Pendant la pandémie, il y a eu une incohérence politique. La télévision et le cinéma sont restés très actifs. Ces industries avaient le droit de louer nos salles de répétition pour tourner et nous n’avions pas le droit de les utiliser, même pour préparer un spectacle sous forme de vidéos capsules!» dénonce le professeur.

Selon lui, cette incohérence est liée au pouvoir de lobbying de «certains secteurs culturels versus d’autres».

Marie Ève Chassé est directrice générale de Théâtre Action à Ottawa.

Julien Lavoie

Marie Ève Chassé, directrice générale de l’organisme Théâtre Action à Ottawa, note toutefois que ces coupes ont eu un point positif, particulièrement pendant la pandémie : les liens entre Franco-Ontariens se sont resserrés.

«En Ontario, la langue est ce qui fait vivre notre culture. Il y a eu un engagement et une solidarité qu’on n’avait pas vus dans le milieu francophone depuis les enjeux politiques de la crise de 2018 [le “jeudi noir”, NDLR]», note Marie Ève Chassé.

Par rapport aux élections ontariennes de juin, elle veut voir si cette solidarité «peut être animée autrement que par une crise. C’est mon questionnement par rapport aux élections, car c’est difficile de rallier les gens autour d’une même cause».

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La culture a «vu venir» le Parti conservateur de l’Ontario

À en croire la directrice de Théâtre Action, l’écoute du gouvernement s’est perdue au fil de la pandémie.

«Il était très difficile d’avoir les communications en français pour savoir ce qu’il en était pour notre secteur», explique Marie Ève Chassé, qui estime que cela dénote un «manque de compréhension de nos enjeux et de notre milieu assez flagrant».

Joël Beddows assure qu’avec l’arrivée de la pandémie, il fallait s’attendre à des budgets amoindris.

Pour l’artiste multidisciplinaire et entrepreneur Yao, le constat est plus radical : «On a vu la politique nous lâcher. [Les conservateurs] ont annoncé la couleur avec les coupures, on l’a senti, on a réagi, mais rien n’a changé».

Il précise :

Des secteurs culturels n’ont pas été considérés comme prioritaires, ce que je trouve particulier vu que l’art et la culture ont permis à tout le monde de rester sain d’esprit pendant cette pandémie.

— Yao, artiste auteur-compositeur-interprète, poète et slameur franco-ontarien

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Un meilleur dialogue avec les partis, pas les gouvernements

Selon les trois panélistes, il y a plusieurs solutions pour que le secteur de la culture soit davantage pris en compte par les politiciens.

La première : parler aux partis. «On a la mauvaise habitude en Ontario français d’être en dialogue avec des gouvernements, puis ceux-ci passent. Sur le long terme, il faut dialoguer avec les partis politiques», suggère Joël Beddows.

Il estime que pendant trop longtemps, la culture franco-ontarienne a été trop près du Parti libéral de l’Ontario. «On l’a payé cher parce qu’on n’a pas su reconnaitre nos alliés au sein du Parti conservateur», regrette-t-il aujourd’hui.

Il cite notamment Amanda Simard, qui a «posé des gestes radicaux» pour les francophones. Joël Beddows assure qu’il faut éviter de démoniser une idéologie, un parti ou un individu : «On doit être dans le dialogue».

Défendre la place de la culture en maniant les intérêts des élus

Selon Yao, pour parler aux élus, il faut utiliser leurs intérêts. «On a tendance à rattacher le secteur culturel à une vision sociale, or il s’agit d’une économie créative, il y a des chiffres», pointe-t-il.

C’est à son avis l’un des éléments principaux à présenter dans un dialogue avec les élus, pour qu’ils voient ce que les chiffres représentent en techniciens, en artistes. C’est aussi une manière de démontrer que les évènements culturels s’accompagnent de réservations d’hôtels et de dépenses dans l’économie locale, défend Yao.

«Ça montre que l’art permet de mobiliser tous les autres secteurs, précise-t-il. Tous ces éléments font que les élus vont se dire : “On a créé telle quantité d’emplois”.»

Joël Beddows abonde dans le même sens :

Formation de main-d’œuvre, industrie culturelle, infrastructures… Ce sont des sujets qui intéressent les conservateurs. Ça permet une continuité dans le dialogue une fois qu’ils sont au pouvoir.

— Joël Beddows, professeur agrégé au Département de théâtre de l’Université d’Ottawa.

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Savoir chercher les données

Pour créer ce dialogue avec les élus, Marie Ève Chassé rappelle qu’il faut des données à jour sur la culture franco-ontarienne, ce qui demeure un défi : «Les organismes sont tellement à court de main-d’œuvre… Encore faut-il les générer, ces données! Puis il faut des fonds. Ce sont de vrais défis», assure-t-elle.

Yao explore une piste : «L’information est déjà existante, tout le monde collecte des données. Je crois qu’on ne sait pas la demander ou qu’on ne la demande pas.»

Il s’appuie sur l’exemple de Statistique Canada. «A-t-on le réflexe de leur demander des données spécifiques [sur un secteur culturel] quand on en a besoin? Et si on avait un mouvement de lobbying qui s’en chargeait? C’est à nous d’aller demander ces données pour en faire une interprétation».

L’artiste ajoute qu’un dernier travail auprès des élus consisterait ensuite à utiliser les données à bon escient : «Le Conseil des ressources humaines du secteur culturel (CRHSC) produit par exemple des documents sur le rôle du technicien. On peut mettre ce type de document entre les mains d’un élu, qu’il soit conservateur ou pas, pour qu’il comprenne nos outils.»

Inès Lombardo

Correspondante parlementaire

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