Columba livia, c’est le nom latin du pigeon biset (du vieux français bis, qui signifie gris sombre ou grisâtre). La plupart des pigeons voyageurs sont de cette espèce. C’est le plus vieil oiseau domestique au monde.
Les premières traces d’utilisation du pigeon pour transmettre des messages remontent à au moins 3000 ans, lorsque les Égyptiens s’en servaient pour annoncer leur arrivée dans un port plusieurs jours à l’avance.

Pendant la Première Guerre mondiale, certains pigeons étaient munis d’un appareil photo pour espionner l’ennemi.
À la même époque, en Grèce, des pigeons étaient parfois utilisés pour faire savoir aux différentes cités les vainqueurs des Jeux olympiques.
Les Romains, pour qui la Grèce était une source intarissable d’inspiration, adoptent le petit volatile, mais comme à leur habitude, ils voient grand. Ils construisent d’énormes pigeonniers pouvant abriter jusqu’à 5000 oiseaux, auxquels ils confient toutes sortes de missions.
Par exemple, ils les teignent de différentes couleurs et les relâchent pour communiquer les résultats des courses de chars à leurs propriétaires. Après la mort de Jules César, des témoignages montrent que le pigeon voyageur est mis à profit à des fins militaires.
L’oiseau et les armées vont d’ailleurs entretenir une relation très proche, qui va perdurer tout au long de l’histoire. En Europe médiévale, Charles Martel proclame sa victoire sur les Sarrasins à Poitiers au moyen de pigeons.
Sous le règne de son célébrissime petit-fils, Charlemagne, roi des Francs et empereur, l’usage du volatile se répand énormément. Charlemagne fait de l’élevage du pigeon un privilège des nobles. On retrouvait des tours à pigeons dans presque tous les châteaux et les abbayes.
Lors des Croisades, les deux camps chrétiens et musulmans feront appel à ces oiseaux pour véhiculer des messages, particulièrement les résultats des batailles.
Le pigeon complice de délit d’initié
Cette pratique s’est poursuivie pendant les siècles suivants.
L’un des meilleurs exemples du rôle utilitaire joué par les pigeons reste celui de la bataille de Waterloo, lors de laquelle Napoléon a subi son ultime défaite face à plusieurs armées alliées menées par le duc de Wellington.

Exemple de pigeonnier où ces oiseaux voyageurs étaient élevés. C’était leur point de retour.
Un membre de la très connue et influente famille Rothschild, qui agissait comme banquier des pays ennemis de Napoléon, a été le premier informé de l’issue de la bataille de Waterloo grâce à un pigeon voyageur, ce qui lui aurait permis d’en retirer des avantages financiers.
Quelques décennies plus tard, lors de la guerre de 1870-1871, plus de 60 ballons chargés de pigeons sont dépêchés à différents points de la France alors que les armées prussiennes assiègent Paris. C’est ainsi que le gouvernement, réfugié à Tours, peut prendre connaissance de ce qui se déroule dans la capitale française.
La technologie avait alors fait de grandes avancées. Quelques années avant la guerre, René Dragon avait mis au point un procédé réduisant la taille des photographies au point où il fallait un microscope pour les observer. Il avait réussi par exemple à fixer 400 portraits sur une surface de 2 mm carrés.
Cette nouveauté permet d’acheminer 3000 dépêches sur une pellicule pouvant être attachée à la patte d’un pigeon. Environ 115 000 dépêches ont ainsi pu être expédiées pendant le siège de Paris.
Comment font-ils?
Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer l’incroyable habileté des pigeons à servir de messagers.

Les pigeons voyageurs sont devenus un instrument de communication crucial pendant les guerres.
D’abord, il faut savoir que, lancés avec leurs précieux messages, ils retournent à leur point de départ, c’est-à-dire leur colombier, qui est leur nid. Monogame, le pigeon mâle revient surtout pour retrouver sa femelle, alors que celle-ci est plutôt motivée par l’idée de revoir ses petits. La nourriture peut aussi les pousser à rentrer au colombier.
Ils s’orientent grâce au soleil, à la lune ou même aux étoiles, par temps clair évidemment. Mais des études indiquent que le champ magnétique de la Terre joue pour eux le rôle d’une boussole. C’est que les pigeons ont des particules d’oxyde de fer dans le crâne et les muscles du cou qui interagissent avec le champ magnétique terrestre.
D’autres scientifiques croient que ces oiseaux peuvent détecter des infrasons provenant de leur colombier.
Cher Ami, on tire sur le messager
Les pigeons voyageurs connaitront leur dernière heure de gloire lors des deux conflits mondiaux du XXe siècle. L’histoire du pigeon «Cher Ami» est probablement la plus célèbre… si elle est vraie.
France, septembre-novembre 1918. Offensive de la Meuse, près de Verdun. C’est la dernière bataille de la Première Guerre mondiale, celle qui mènera à la signature de l’armistice du 11 novembre. Lors de l’attaque, une division américaine se retrouve prise au piège derrière les lignes allemandes. Le quartier général perd sa trace, car le signal radio est trop faible.
La division se fait bombarder par sa propre armée qui ignore sa position. Lorsque les troupes ennemies avancent dangereusement vers elle, la division dépêche des pigeons afin d’informer son commandement. Mais les soldats allemands parviennent à les abattre.

Un pigeon «militaire» s’envole avec son message enroulé sur une de ses pattes.
Il ne reste qu’un pigeon nommé Cher Ami. La division américaine l’envoie, mais il est atteint d’une balle.
Est-ce la fin? Non. Cher Ami reprend son vol. Malgré ses blessures, il parcourt 40 km en 30 minutes, son message toujours attaché à sa patte droite abimée. Il accomplit sa mission. Entretemps, les tirs «amis» avaient cessé, mais grâce à Cher Ami, le sauvetage de la division a été facilité.
Amené aux États-Unis, le pigeon meurt quelque mois plus tard de ses blessures. Il devient un héros et reçoit même la Croix de Guerre américaine.
C’est une belle histoire, sauf que… En 2021, une enquête d’un conservateur du Musée national d’histoire américaine (où Cher Ami, empalé, est exposé) conclut que le récit a été embelli. Cher Ami a bel et bien transporté un message alors qu’il était gravement blessé. Mais plusieurs détails demeurent incertains.
Conclusion, ne laissez pas les faits gâcher une bonne histoire, comme l’a dit l’écrivain américain Mark Twain. Mais, ironiquement, personne ne sait avec certitude s’il a véritablement prononcé ces paroles…