le Mardi 13 mai 2025
le Dimanche 12 Décembre 2021 13:00 Société

Violences sexuelles : «Les victimes ont besoin d’être crues»

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Depuis quelques semaines, des femmes de l’Île-du-Prince-Édouard dénoncent les agressions sexuelles qu’elles ont subies.  — Priscilla Du Preez – Unsplash
Depuis quelques semaines, des femmes de l’Île-du-Prince-Édouard dénoncent les agressions sexuelles qu’elles ont subies.
Priscilla Du Preez – Unsplash
IJL - Réseau.Presse - La Voix acadienne (Île-du-Prince-Édouard) – Depuis quelques semaines, des femmes de l’Île-du-Prince-Édouard dénoncent les agressions sexuelles qu’elles ont subies. Elles rompent le silence avec l’espoir de briser la culture du viol et les stéréotypes présents dans la société. Selon plusieurs responsables d’organisations féministes de la province, la réponse pénale aux violences sexuelles n’est toutefois pas encore à la hauteur.
Violences sexuelles : «Les victimes ont besoin d’être crues»
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Jane Ledwell est directrice générale du Conseil consultatif sur la situation de la femme de l’Î.-P.-É.

Marine Ernoult

La parole sur les violences sexuelles se libère à l’Î.-P.-É.. Dix-sept femmes ont récemment témoigné avoir été intoxiquées au Rohypnol dans des bars et soirées privées du centre-ville de Charlottetown.

Ce tranquillisant, dix fois plus puissant que le Valium, aurait été versé dans leur verre sans leur consentement. Plusieurs de ces cas se seraient produits entre 2010 et 2011.

Trois femmes affirment avoir été agressées sexuellement après avoir été droguées. Les autres ne seraient pas capables de déterminer si une agression sexuelle a eu lieu, car elles auraient perdu connaissance lors des évènements. CBC a publié une enquête sur le sujet le mardi 16 novembre.

Ces témoignages interviennent deux semaines après l’ouverture d’une investigation par la police de Charlottetown sur deux autres cas d’empoisonnement aux drogues dans des bars du centre-ville.

Aux yeux de Johanna Venturini, ces révélations attestent d’une lame de fond, dans le sillage du mouvement «#MoiAussi». «Les femmes sont fatiguées de porter secrètement le poids de lourds stigmates, elles veulent être entendues et voir des solutions mises en place», analyse la directrice générale d’Actions Femmes Î.-P.-É (AFÎPÉ).

«En partageant courageusement leur vécu, elles ont l’espoir de faire changer les choses, de briser le cercle de la violence», abonde Jane Ledwell, directrice générale du Conseil consultatif sur la situation de la femme de l’Î.-P.-É..

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Valoriser la parole des femmes 

Les 17 témoignages présentés à la police de Charlottetown en juin dernier n’ont pour le moment donné lieu à aucune enquête, et aucune des survivantes n’a été contactée. Les forces de l’ordre affirment qu’elles ne sont pas en mesure d’enquêter, faute de preuve et de plainte déposée par les victimes.

«Dans la grande majorité des cas, les survivantes ne portent pas plainte, rappelle Jane Ledwell. C’est une épreuve traumatisante d’aller voir la police, il faut réussir à franchir la barrière de la honte.»

Johanna Venturini et Jane Ledwell regrettent que le système judiciaire soit aussi «inadapté» aux violences sexuelles. «Les affaires de viol et d’agression donnent rarement lieu à des poursuites judiciaires et à des condamnations», constate Johanne Venturini.

«C’est frustrant, les victimes ont l’impression que les violences sexuelles sont dépénalisées», poursuit Jane Ledwell.

Selon la police de la capitale provinciale, seize plaintes liées à des boissons truquées ont été effectuées au cours des vingt dernières années, mais aucune n’a mené à des accusations.

Les deux responsables d’organisations féministes appellent à changer le système en profondeur, afin que la parole des victimes soit davantage valorisée et prise au sérieux. «Elles ont besoin d’être crues, entourées et écoutées, insiste Johanna Venturini. Aujourd’hui, elles se retrouvent souvent seules et désemparées, à devoir prouver envers et contre tout ce qui leur est arrivé».

Mobilisation de l’ensemble de la société

La qualité de l’accueil réservé aux victimes est essentielle. Johanna Venturini plaide pour que le traumatisme des personnes sexuellement agressées soit mieux pris en compte par tous les acteurs de la chaine judiciaire.

Policiers et juges doivent être sensibilisés aux mécanismes de survie développés par les survivantes pour se protéger. Des témoignages confus qui comportent des omissions ne doivent pas être décrédibilisés.

— Johanna Venturini, directrice générale d’Actions Femmes Î.-P.-É

Les survivantes doivent être également prises en charge dans un cadre sécurisant. Johanna Venturini propose ainsi que les policiers recueillent leur parole à l’extérieur des commissariats, dans des lieux comme des maisons de femmes, où elles se sentent en sécurité.

Plus largement, la prévention des violences sexuelles passe par une mobilisation de l’ensemble de la société. «La pression ne doit pas toujours reposer sur les épaules des femmes. Ce n’est pas seulement leur responsabilité de surveiller leur verre, c’est la responsabilité de tout le monde, y compris des hommes», partage Jane Ledwell.

Johanna Venturini pointe elle la responsabilité des propriétaires de bars : «Ça se passe dans leur établissement, ils doivent offrir un cadre sécuritaire et former leur personnel sur ces questions.»

À cet égard, elle salue l’apparition de plusieurs initiatives comme le sous-verre qui change de couleur au contact de drogue, ou encore ces cocktails que l’on peut commander pour alerter le personnel sur un comportement déplacé.