
Adeline Jérôme et son mari Cédric lors de leur départ au Canada en juin 2002.
Dans le salon de sa maison d’Ottawa, devant sa bibliothèque remplie de centaines de livres, Adeline Jérôme se définit comme une «militante des langues françaises». «Je ne parle pas du français prescriptif de France qu’on apprend dans les livres, je parle de la richesse des expressions et des accents de la francophonie canadienne, si diversifiée et multiculturelle», partage la quadragénaire.
La Franco-Canadienne se souvient encore du «choc linguistique» qu’elle et son mari, Cédric, ont ressenti il y a 19 ans, à leur arrivée au Québec. «Je n’imaginais pas qu’il y avait tant de différences alors qu’on a une langue commune. Pour moi, les Québécois, c’était les Français d’Amérique du Nord», sourit Adeline qui témoigne d’une «grande méconnaissance de la réalité canadienne» de l’autre côté de l’Atlantique.
À l’époque, le couple s’installe à Longueuil, sur la rive sud de Montréal. Adeline n’avait jamais mis les pieds au Canada, elle s’est laissée convaincre par son conjoint d’émigrer. L’étudiante en histoire de l’art et en archéologie a abandonné ses études pour tenter l’aventure canadienne. «Je me suis dit « pourquoi pas, on va essayer et au moins on n’aura aucun regret »», se remémore-t-elle.
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En milieu minoritaire, «je suis enfin devenue une Canadienne comme les autres»
Si son époux décroche immédiatement un emploi stable, la jeune femme multiplie les expériences comme commis de boulangerie, fleuriste ou encore chargée de projets au sein d’une entreprise spécialisée dans l’écriture braille. Adeline ne regrette rien : «C’était une belle manière de m’intégrer et de découvrir la culture.» En 2005, elle reprend néanmoins le chemin des études et obtient un diplôme en secrétariat, administration et comptabilité.

Adeline Jérôme a participé le 1er décembre 2018 à la manifestation pour les droits des Franco-Ontariens à Ottawa.
Ces années québécoises laissent une impression mitigée à Adeline. «Les gens avaient un à priori sur moi : dès que j’ouvrais la bouche, j’étais étiquetée comme la « maudite Française », regrette-t-elle. Je n’ai jamais eu le droit d’être Québécoise, car je n’étais pas née là-bas.»
Ainsi, en 2006, lorsque son mari décroche une opportunité professionnelle dans la banlieue de Toronto, Adeline n’hésite pas une seconde à déménager. Alors qu’elle ne parvenait pas à trouver du travail au Québec, elle obtient presque immédiatement un poste de secrétaire au Conseil scolaire de langue française Viamonde.
C’est là qu’elle va faire sa «plus belle et plus grande découverte» : la francophonie en milieu minoritaire! «C’était une surprise totale et, aujourd’hui, je la défends avec passion», réagit Adeline qui s’intègre tout de suite à la communauté multiculturelle du Grand Toronto. «Je suis enfin devenue une Canadienne comme les autres. Personne n’a jamais eu de préjugés à cause de mon accent», salue-t-elle.
Lutter contre l’insécurité linguistique
Au fil des années, Adeline travaille comme secrétaire dans des écoles francophones, puis se lance dans la traduction et finit par donner des cours de français dans son voisinage. Rapidement, elle réalise qu’elle a besoin de professionnaliser sa démarche. «Parler une langue et l’enseigner sont deux choses radicalement différentes», résume-t-elle.
Adeline retrouve une nouvelle fois le chemin des salles de classe et obtient un diplôme d’aptitude à l’enseignement du français langue seconde, en 2008. Son diplôme en poche, elle enseigne à l’Alliance française de Toronto – Mississauga, ainsi que dans d’autres instituts où elle donne notamment des cours à des fonctionnaires fédéraux.
Dans son quotidien d’enseignante, Adeline tente de lutter contre l’insécurité linguistique de ses élèves.

«Transmettre une langue, c’est aider l’autre à communiquer. J’incite les gens à parler à leur manière avec leur accent, faire des fautes de grammaire à l’oral ce n’est pas grave», insiste la pédagogue qui regrette la hiérarchisation faite entre les différents idiomes. «Les francophones doivent arrêter de s’opposer et de se juger les uns les autres, plaide-t-elle. Il y a un manque d’ouverture alors qu’on a une langue commune en héritage.»
Dépôt de plaintes pour de meilleurs services en français
Depuis qu’elle habite en milieu francophone minoritaire, Adeline ne se contente pas de transmettre sa langue maternelle, elle n’a de cesse de la défendre. Son premier combat remonte à 2006. Scandalisée par la qualité déplorable du français des affiches d’informations présentes dans le réseau de transport public du Grand Toronto, la Franco-Ontarienne dépose une plainte auprès du Commissariat aux services en français de l’Ontario.
La militante dépose de nombreuses autres plaintes auprès du gouvernement fédéral afin d’avoir de meilleurs services en français dans les aéroports, mais aussi auprès de la municipalité d’Ottawa en raison de traductions officielles, «criblées de fautes, pire que des traductions Google». Adeline participe également à la manifestation pour les droits des Franco-Ontariens, le 1er décembre 2018 à Ottawa.
Depuis quatre ans, Adeline et son mari sont installés dans la capitale fédérale. «On pensait qu’en habitant dans cet environnement officiellement bilingue, on se rapprocherait des services en français, mais ce n’est pas forcément le cas», déplore-t-elle.

Adeline Jerôme lors d’un séjour à Carcassone, en France.
«On ne sait pas où aller pour parler français»
À ses yeux, les francophones sont encore trop souvent isolés à cause du manque de lieux de rencontre clairement identifiés : «On ne sait pas où aller pour parler français.» À cet égard, elle salue les médias sociaux qui permettent aux francophones des quatre coins du pays de rester en contact.
Elle appelle également à redéfinir une francophonie canadienne plus ouverte, incluant davantage les francophiles et les nouveaux arrivants. «Chaque groupe ethnique reste de son côté, fonde sa propre association, on ne se mélange pas assez, c’est dommage», note Adeline.
Restée profondément attachée à la France, Adeline sait qu’avec son mari, ils y passeront leur retraite dans une quinzaine d’années. «On est incapable d’y travailler à nouveau, mais on y vivra volontiers comme touristes. Le patrimoine culturel et culinaire européen me manque», partage la Franco-Canadienne, néanmoins «terrifiée» par la montée actuelle de l’extrême droite dans l’Hexagone. «Quand on vit depuis si longtemps au Canada, on s’est habitué à une grande tolérance, à un vivre ensemble», poursuit-elle.
En attendant, Adeline profite de la pandémie pour revenir à ses premières amours, l’égyptologie. Elle suit des cours en ligne en vue d’obtenir un certificat. Son rêve? Poursuivre jusqu’au doctorat, «même si je l’ai à 60 ans», plaisante-t-elle.

Adeline Jérôme à Ottawa en 2019.
Au travers des incertitudes liées à la pandémie, certaines histoires ressortent comme autant de bouffées d’air et d’espoir. C’est notamment le cas de nombreux francophones qui ont choisi le Canada comme terre d’accueil, il y a de cela quelques mois ou des années. Francopresse vous présente quelques-unes de leurs histoires d’immigration, un clin d’œil à la vie qui continue même quand tout le reste s’arrête.