Un refus qui a provoqué la fermeture de la Clinique 554 de Fredericton le 30 septembre, seule clinique privée qui offrait les services d’avortement dans la province.
«Les femmes enceintes sont abandonnées à leur sort», déplore la porte-parole en matière d’égalité des femmes pour le Parti libéral, Isabelle Thériault. La députée a d’ailleurs présenté, le 26 novembre dernier, une motion à l’Assemblée législative exigeant du gouvernement le remboursement du cout des avortements pratiqués dans cette clinique.
Pourquoi cette motion si la clinique est déjà fermée? «Nous avons reçu l’assurance que la clinique pourrait rouvrir ses portes si elle reçoit les fonds nécessaires», explique Isabelle Thériault.
Le financement de la clinique était l’un des engagements des libéraux lors de la campagne électorale l’été dernier. Un revirement de position pour le parti.

Historique de la bataille contre les avortements hors des hôpitaux
C’est en effet un gouvernement libéral qui était au pouvoir lorsque, au début des années 1990, le Dr Morgentaler a amorcé les démarches pour établir une clinique d’avortement dans la province.
Le premier ministre de l’époque, Frank McKenna, avait averti le médecin qu’il aurait à faire face au «combat de sa vie».
La clinique a tout de même ouvert ses portes en 1994. Le gouvernement McKenna a alors soumis une plainte contre le médecin pour inconduite auprès du Collège des médecins de la province.
Le Dr Morgentaler a contesté la mesure devant les tribunaux et a eu gain de cause. Il a gagné cette bataille, mais il a perdu la guerre.
La clinique avait le droit d’exister, mais pas question pour la province de financer les avortements qui y étaient pratiqués, une position partagée par plusieurs autres provinces à l’époque. Le Dr Morgentaler a mené une longue bataille judiciaire pour obtenir ce financement, mais la poursuite n’a jamais abouti.
En 2014, après la mort du médecin, la clinique Morgentaler de Fredericton a fermé ses portes, faute de financement. L’année suivante, une nouvelle clinique offrant des avortements ouvrait dans la municipalité – la Clinique 554.
Au fil des ans, l’une après l’autre, les provinces qui comptaient des cliniques privées ont décidé ou se sont vu forcées par les tribunaux de rembourser le cout des avortements. Mais au Nouveau-Brunswick, les gouvernements progressistes-conservateurs et libéraux qui se sont succédé à ce jour ont maintenu la même politique.
«Le Nouveau-Brunswick est la seule province qui résiste!» lance Joyce Arthur, directrice générale de la Coalition pour le droit à l’avortement au Canada (CDAC). «C’est très malheureux.»

Une disposition de la Loi sur les paiements des services médicaux du Nouveau-Brunswick traite spécifiquement de la question. Dans le règlement 84-20 de cette Loi, on liste les services qui ne sont pas «assurés» — lire payés — par la province, dont «l’avortement, sauf lorsqu’il est pratiqué dans un établissement hospitalier qu’approuve l’autorité compétente dans lequel celui-ci est situé».
Le gouvernement actuel de la province, dirigé par Blaine Higgs, affirme être dans son droit et que la position de la province ne déroge pas à la Loi canadienne sur la santé.
Nos demandes pour obtenir des commentaires de la province sont restées sans réponses.
Interventions du gouvernement fédéral
Le gouvernement fédéral ne partage pas le point de vue du Nouveau-Brunswick à ce sujet. Depuis un an, Ottawa augmente la pression sur la province dans ce dossier.
Lors d’un arrêt à Fredericton pendant la campagne électorale, en 2019, le premier ministre Justin Trudeau s’est engagé à ce que les avortements pratiqués à la Clinique 554 soient financés par la province. Il promettait alors qu’il aurait recours «à tous les outils à notre disposition, incluant ceux de la Loi canadienne sur la santé».
Devant le statuquo de la province, c’est ce que le gouvernement Trudeau, réélu, a fait : au printemps dernier, il a retenu des transferts annuels fédéraux en santé destinés au Nouveau-Brunswick — un peu plus de 140 000 $ — soit les montants estimés que les patientes auraient payés à la clinique pour des avortements en 2017 alors qu’ils auraient dû être couverts.
Ottawa a cependant fait marche arrière peu de temps après et a versé ces fonds à la province en raison de la pandémie de COVID-19. Mais il pourrait récidiver une fois la pandémie terminée.
C’était la première fois qu’Ottawa allait si loin pour forcer la main du gouvernement du Nouveau-Brunswick. Pourtant, le gouvernement précédent, celui du libéral Brian Gallant, refusait lui aussi de financer la clinique.
Questionné en 2019 par CBC à savoir pourquoi son gouvernement n’avait pas confronté le gouvernement libéral provincial sur cette question, Justin Trudeau avait répondu : «Nous l’avons fait. Nous avons encouragé le premier ministre Gallant à étendre l’accès aux services d’avortement et des pas ont été franchis.»
D’autres arguments pour ne pas financer
Le premier ministre Blaine Higgs avance également d’autres arguments pour ne pas financer la Clinique 554. Il souligne entre autres qu’il revient aux deux réseaux de santé de la province de régler le problème d’accès, si problème il y a.
Or, le premier ministre affirme que les responsables des réseaux de santé ne lui ont jamais fait part de problèmes d’accès.
Au Nouveau-Brunswick, les avortements sont pratiqués dans trois hôpitaux, soit le Centre hospitalier universitaire Dr-Georges-L.-Dumont de Moncton et l’hôpital général de Bathurst, tous deux relevant du réseau Vitalité, ainsi que de l’hôpital de Moncton, relevant du réseau Horizon.
Cela signifie qu’avec la fermeture de la Clinique 554, obtenir un avortement sera impossible dans deux des trois plus grandes villes de la province : Fredericton et Saint-Jean.
Au cours des dernières années, le réseau Horizon a démontré peu d’intérêt à étendre le service dans ces deux villes, évoquant un manque d’intérêt du personnel médical ou des problèmes d’espaces.
L’an dernier, le conseil d’administration d’Horizon a cependant adopté une motion demandant au gouvernement provincial de financer la Clinique 554. Interrogé à ce sujet en septembre dernier, le premier ministre Higgs disait ignorer l’existence de cette motion.
La PDG d’Horizon, Karen McGrath, avait indiqué au moment de l’adoption de la motion que si la clinique fermait — la fermeture était déjà évoquée par ses dirigeants à ce moment-là — son administration aurait une «discussion» sur la façon dont les patientes pourraient être desservies.
Le premier ministre Higgs a également évoqué à plusieurs reprises la crainte de créer un «précédent», et que d’autres services de santé risquaient d’être offerts par le secteur privé par la suite.
«Ses convictions personnelles»
La directrice générale du Regroupement féministe du Nouveau-Brunswick (RFNB), Julie Gillet, croit que la principale motivation du premier ministre vient d’ailleurs. «Il fait passer ses convictions personnelles ou religieuses avant la législation», estime-t-elle.

En décembre 2014, Blaine Higgs s’était opposé à la décision du gouvernement Gallant d’éliminer une règle mise en place par Frank McKenna et qui obligeait les femmes souhaitant obtenir un avortement à avoir le consentement de deux médecins. Blaine Higgs a déjà déclaré que ses opinions personnelles sur la question n’influençaient pas ses décisions politiques.
La pression envers le gouvernement Higgs s’accumule. Plus de 35 000 personnes ont signé une pétition en appui à la Clinique 554. Plus tôt cet automne, dans un geste assez inusité, 36 sénateurs ont signé une lettre demandant au gouvernement Higgs de respecter le droit d’accès à l’avortement.
Le sénateur indépendant René Cormier est l’un d’eux. «La position qui est la mienne et qui est probablement celle de plusieurs de mes collègues sénateurs qui ont signé la lettre, c’est que la Cour suprême a statué sur cette question-là il y a 30 ans. Et donc, c’est la responsabilité des provinces et des territoires de donner accès aux citoyens à ces services-là puisque c’est un droit.»

La voie judiciaire a également été ravivée. L’Association canadienne des libertés civiles (ACLC) a annoncé à la fin octobre qu’elle intentera une poursuite contre la province au sujet des restrictions à l’accès à l’avortement.
Kerri Froc, professeure à l’Université du Nouveau-Brunswick et spécialiste en droit constitutionnel, donne un coup de main à l’organisme dans cette démarche : «Lorsqu’on examine l’histoire de l’avortement au Nouveau-Brunswick, c’est très clair ; l’enjeu n’est pas la privatisation de la médecine. Ce n’est pas une question de sécurité des femmes. Ce qu’on [le gouvernement] cherche ici, c’est uniquement à imposer des barrières aux femmes qui veulent obtenir des soins de santé reproductive.»