Joe Biden fera face à d’importants défis, et ce dès le jour 1 : «l’assaut sur le Capitole la semaine dernière a mis un point d’exclamation sur ce que tout le monde savait, c’est que le pays est divisé», souligne le professeur Greg Anderson, du Département de sciences politiques de l’Université de l’Alberta.
«Une des promesses électorales de Joe Biden était de tenter de réconcilier l’Amérique. C’est une promesse assez difficile à remplir dans le contexte actuel où l’Amérique est si divisée», selon Valérie Beaudoin, chercheuse associée à l’Observatoire des États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand, à l’UQAM.

Pour le professeur Justin Massie, du Département de sciences politiques de l’UQAM, «suite au saccage au Capitole, maintenir l’unité du pays prend encore plus d’importance», parce que le mouvement trumpiste ne va pas quitter la scène quand le président Trump quittera ses fonctions.
Si dix représentants républicains ont voté pour la destitution du président Donald Trump au cours de la dernière semaine, il y a en tout de même plus de 200 qui ont voté contre, parce qu’une faction substantielle du parti considère qu’il y a un intérêt électoral à cultiver le mouvement trumpiste, ajoute le politologue.
Une majorité étroite au Congrès
Avec la victoire de leurs deux candidats au Sénat en Géorgie, les démocrates obtiennent un mince contrôle sur la chambre haute — ils disposent maintenant de 50 votes, et la nouvelle vice-présidente, Kamala Harris, disposera du vote décisif en cas d’égalité, comme l’explique Valérie Beaudoin.
Le Parti démocrate dispose aussi d’une mince majorité à la Chambre des représentants, ce qui leur donne le contrôle des deux chambres de la législature.
Ce contrôle du Sénat va permettre au président Joe Biden de faire confirmer les candidats qu’il désire pour former son cabinet, ce qui était loin d’être garanti avant ses victoires en Géorgie, souligne Justin Massie.

Pour Greg Anderson, l’attentat sur le Capitole a entrainé un changement de ton chez certains législateurs républicains, et il serait possible que Joe Biden obtienne du soutien bipartisan pour faire adopter son plan d’assistance pour la COVID, voire un plan d’investissement dans les infrastructures.
«Mais au-delà de cela, les choses se gâtent. Pour des enjeux comme l’immigration, les changements climatiques, ce sera très difficile [pour le président] d’obtenir le soutien d’un grand nombre de républicains», prévient le professeur Anderson.
Valérie Beaudoin et Greg Anderson s’attendent aussi à voir le président Biden dépenser un abondant capital politique pour améliorer les programmes de soins de santé.
Un problème épineux, selon Valérie Beaudoin, car le caucus démocrate est divisé entre les élus qui souhaiteraient un modèle d’assurance maladie universelle (Medicare for All) et ceux qui se contenteraient d’une bonification du système actuel, «l’Obamacare».
Greg Anderson ne s’attend pas à ce que le président Biden mette de l’avant un agenda audacieux : «Il devra être prudent, il n’y a que deux ans avant les élections de mi-mandat de 2022, et on pourrait voir le Sénat ou la Chambre des représentants passer aux mains des républicains.»
«Donc je ne m’attends pas à beaucoup de surprises de sa part. Ça va être une présidence ennuyante!» s’exclame Greg Anderson.

Reprise en main de la lutte contre la COVID-19
Justin Massie, de l’UQAM, constate immédiatement que l’approche de Biden diffère de celle de Trump «parce qu’il prend la COVID-19 au sérieux [pour lui] ce n’est pas une histoire farfelue inventée par les Chinois.»
Biden, ajoute-t-il, «a déjà fait des annonces, il veut aller très rapidement dès le début de sa présidence. Il a déjà proposé son plan de relance et a déjà fait toutes ses déclarations en matière de priorité de vaccination, puis de lutte contre la COVID-19».
Greg Anderson souligne que le président élu a rassemblé un groupe d’experts solide pour l’aviser, et qu’on peut certainement s’attendre à des efforts de contrôle de la pandémie plus forts, et plus centralisés à Washington.
Joe Biden a souligné qu’il ne voulait pas «fermer l’Amérique», donc « s’il y a des confinements, ils seront très ciblés, rappelle Valérie Beaudoin. Mais on sait que Joe Biden va demander le port du masque pour les 100 premiers jours de sa présidence».
Cependant, le système politique américain place beaucoup de pouvoir entre les mains des gouverneurs des États, donc il y a des limites à ce que le gouvernement fédéral peut imposer, ajoute Valérie Beaudoin.

Un ton plus cordial dans les relations avec le Canada
«La première chose à laquelle on peut s’attendre [de Joe Biden], c’est un ton différent, un ton cordial, un ton diplomatique», pense Justin Massie.
Le message que voudra envoyer Washington, selon le politologue, est: «“On est de retour, on veut assurer un leadeurship, et on veut travailler avec vous”, ce qui n’est pas du tout ce qu’on a entendu de Washington depuis quatre ans».
Donc si on peut s’attendre à voir un changement de discours, il ne faut cependant pas se leurrer, selon l’ensemble des chercheurs consultés par Francopresse, car l’administration Biden conservera un agenda protectionniste.
Ainsi, selon Valérie Beaudoin, Joe Biden a déclaré vouloir favoriser les politiques d’achat aux États-Unis, selon le principe de «Buy America», donc on ne doit pas s’attendre à ce que les États-Unis rouvrent le nouvel ALÉNA pour favoriser le Canada, par exemple.
Puisque les États-Unis est le principal marché pour les exportations canadiennes, l’un des objectifs du Canada sera de limiter le plus possible les politiques qui l’excluraient de participer à un éventuel plan de relance américain, observe Justin Massie.
Le politologue rappelle aussi que Joe Biden a un agenda ambitieux en matière de défense et de politique étrangère, ce qui veut dire rejoindre l’Accord de Paris ; mais aussi «poursuivre la compétition entre grandes puissances avec la Chine et la Russie».
Du côté positif, souligne Valérie Beaudoin, «au niveau des questions environnementales [les États-Unis] vont se rapprocher un peu plus du Canada, parce que Joe Biden fait de l’environnement une de ses priorités. C’est vraiment une grosse rupture avec l’administration Trump».
Cependant, les États-Unis pourraient aussi demander au Canada d’être plus présents au niveau militaire : participer à des exercices navals en mer de Chine; être plus présents en Europe de l’Est; augmenter sa contribution dans la lutte contre le terrorisme, et d’autres mesures similaires, pense Justin Massie.