Le projet de loi C-354 propose de modifier la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), afin de reconnaitre la spécificité culturelle du Québec et de la francophonie.
Il vise notamment à obliger le CRTC à consulter le gouvernement du Québec ou ceux des autres provinces, selon le cas, avant de prendre des décisions qui affectent la spécificité culturelle du Québec ou les marchés francophones.

Manon Henri-Cadieux se dit «fortement préoccupée» de la protection et de la promotion de la langue française.
Droit de regard
Déposé par le Bloc québécois, C-354 est vu «d’un très bon œil» par la Fédération culturelle canadienne-française (FCCF), a assuré sa directrice de la Stratégie et des relations gouvernementales, Manon Henri-Cadieux, lors de son témoignage devant le Comité permanent du patrimoine canadien, le 18 juin dernier.
«Le fait que le Québec pourrait exercer un droit de regard auprès du Conseil sur sa spécificité culturelle aurait pour effet de tirer l’importance de la protection et de la promotion du français vers le haut, ce qui nous sera également bénéfique», a-t-elle déclaré.
La Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA), sans forcément se positionner sur C-354, est d’accord avec le principe de consultation des francophones.
«La prise en compte de nos réalités par le CRTC au fil des ans a été inégale, et dans plusieurs cas, insatisfaisante», a déploré sa présidente, Liane Roy, également témoin au Comité.
Nous convenons de l’importance pour le CRTC de consulter beaucoup plus systématiquement sur les réalités des marchés francophones au pays, y compris la spécificité culturelle du Québec.
Des lacunes à combler
«Ça fait quand même quelques années qu’on dit que le groupe de discussion CRTC-CLOSM [communautés de langue officielle en situation minoritaire] doit être revu, resserré», a rappelé le directeur des communications de la FCFA, Serge Quinty, devant le Comité.

Pour Serge Quinty et la FCFA, si C-354 va de l’avant, un amendement serait le bienvenu.
La Loi sur la diffusion continue en ligne, qui a reçu la sanction royale en avril 2023, oblige déjà le CRTC à consulter les CLOSM «lorsqu’il prend toute décision susceptible d’avoir sur elles un effet préjudiciable».
Mais sa mise en œuvre n’est pas encore complète. À l’heure actuelle, il faut se contenter du groupe de discussion CRTC-CLOSM, qui inclut la FCFA et la FCCF. Mais ce dernier «n’est pas un organe consultatif», a précisé Serge Quinty.
Depuis le mois d’octobre 2023, ces communautés revendiquent la transformation de ce groupe en comité consultatif.
Pour l’instant, ce qui se rapproche le plus d’une consultation sont les audiences publiques. Mais encore là, «le CRTC fonctionne par avis de consultation et tout le monde de la société civile, n’importe qui, peut intervenir», a rapporté M. Quinty.
«Ce ne sont pas nécessairement des gens qui sont invités à comparaitre devant le CRTC, il faut mettre son pied dans la porte, il faut soumettre avant la date limite. Si on ne le fait pas, on n’est tout simplement pas là.»
Quand la non-consultation coute des millions
En 2012, une décision du CRTC prise sans consulter l’organisme représentant des francophones hors Québec approprié a entrainé un manque à gagner d’environ 2,3 millions de dollars pour l’industrie musicale francophone en situation minoritaire.
La Loi sur la diffusion continue en ligne, votée après cet évènement, est vue comme une victoire pour l’industrie qui espère être consultée à l’avenir.
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La méfiance envers les gouvernements provinciaux
Si C-354 va de l’avant, la FCFA demande toutefois au Parlement de le modifier, notamment la partie liée à la consultation des gouvernements provinciaux sur les réalités des marchés francophones.
«La sensibilité que peuvent avoir ces gouvernements par rapport à la francophonie est à géométrie variable», a prévenu Liane Roy. «Certains gouvernements ont des relations difficiles avec les communautés francophones.»

Martin Champoux veut rassurer les francophones en situation minoritaire.
Selon elle, à l’extérieur du Québec, les communautés francophones et les organismes qui les composent sont mieux placés pour parler des marchés francophones au CRTC et devraient donc remplacer «les autres gouvernements provinciaux» dans le texte du projet de loi.
«Nos mandats sont légitimes, nos structures de représentation dument constituées et nous détenons l’expertise nécessaire. […] Nos groupes sont les mieux placés pour informer le CRTC des besoins de la francophonie minoritaire», a appuyé Manon Henri-Cadieux, qui demande le même amendement.
Serge Quinty a ajouté que la formulation actuelle de C-354 peut porter à confusion : «Si on dit dans la Loi sur la diffusion continue que le CRTC doit consulter les CLOSM, et que de l’autre côté, on dit dans le projet de loi C-354 qu’on doit consulter en priorité les gouvernements provinciaux et territoriaux, il y a risque de conflit d’interprétation sur quelle loi ou quel groupe a préséance sur l’autre.»
Le porte-parole bloquiste en matière de Patrimoine canadien, Martin Champoux, a confirmé qu’il appuiera un tel amendement si celui-ci est déposé.
En entrevue avec Francopresse, sans préciser la nature des modifications nécessaires, le député conservateur Jacques Gourde a confirmé que C-354 devra être amendé afin de recevoir l’appui de l’opposition officielle.
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Selon Jacques Gourde, C-354 devra être amendé afin de recevoir l’appui des conservateurs.
Du travail en plus pour le CRTC
Le CRTC reconnait l’importance de consulter, mais s’inquiète des implications en matière de charge de travail que représenteraient des consultations avec les provinces.
«En ce moment, avec la charge de travail du CRTC, en tout respect, c’est nous demander de faire une étape additionnelle lorsque le temps presse pour mettre en place la nouvelle mouture de la Loi sur la radiodiffusion», a exprimé un des dirigeants du CRTC, Scott Hutton, au Comité.
«Nous sommes inquiets que si cette tendance de nous obliger de consulter avec ce groupe, puis ce groupe, et que ça s’accumule avec le temps, ça peut nous ralentir dans un moment où nous tentons d’avancer rapidement», a renchéri le directeur exécutif de la radiodiffusion, Scott Shortliffe.
«Sonner l’alarme»
Manon Henri-Cadieux s’est dite «fortement préoccupée» par la complexité des enjeux concernant la protection et la promotion de la langue française, surtout compte tenu de son déclin.
«Je ne saurais sonner l’alarme assez fort pour nous réveiller par rapport à l’importance de ces objectifs-là.»
Rappelant que la Loi sur les langues officielles (LLO) a été modernisée, elle a imploré les élus de mettre en œuvre l’égalité entre les deux langues.
«Vous avez choisi de l’élever au prochain niveau, vous avez exigé que des mesures positives soient prises», a-t-elle dit en s’adressant aux députés du Comité.
Je vous invite à ne pas vous satisfaire d’entendre parler de mesures positives, mais de vous rendre jusqu’à la preuve de son résultat.
Serge Quinty a aussi évoqué la LLO : «Le CRTC […] est aussi désigné en vertu de la Loi sur les langues officielles, naturellement, il doit prendre des mesures positives. Tout cela justifie, à notre avis, qu’il y ait un exercice de consultation autre que des audiences publiques.»