Pour l’année 2023, les Rendez-vous de la Francophonie prennent pour thème «Célébrations». La Journée internationale de la Francophonie porte quant à elle sur «321 millions de francophones, des milliards de contenus culturels».
Certes, de telles occasions de souligner ce qui nous unit auront tendance à s’ouvrir à de multiples interprétations. Toutefois, on peut se demander ce qui est rassemblé par des slogans aussi vastes et au contenu aussi vague.
Ce caractère vague vient peut-être de l’attention qu’on porte à la langue, alors que celle-ci se rattache à tant de situations personnelles et collectives.
Il en va tout autant de la diversité rattachée à la langue et à la francophonie canadienne comme internationale : prise comme valeur, elle se trouve derrière la promotion de la «richesse» et de la variété des contenus et produits culturels de la francophonie.
La diversité comme rideau
Cette diversité a-t-elle un contenu réel? Il existe tant de caractéristiques qui nous distinguent et servent à nous rassembler que célébrer la diversité revient simplement à constater un fait.
Il est tout à fait louable de refuser de définir un groupe par une seule caractéristique ou en relation à une seule norme. On sait toutefois que le mot «diversité» a plutôt tendance à être utilisé comme euphémisme pour parler de diversité culturelle.
Valoriser cette diversité en soi a l’effet de nous détourner des revendications des personnes qui sont reléguées à la diversité (elles en sont «issues») et ainsi montrées comme différentes du groupe majoritaire.
Leurs revendications incluent plutôt la fin des discriminations, l’accès aux emplois et aux postes de prise de décisions et, dans le cas des personnes immigrantes, la capacité à retrouver leur famille plus aisément.
Or trop souvent, la célébration de la diversité est un engagement vague, une idole faite pour meubler les discours, mais trop souvent tenue à distance des actions réelles. La diversité est gérée : on la célèbre, on sensibilise la majorité et on éduque cette dernière – mais les frontières sont maintenues.
Les origines de la Francophonie
Une véritable défense de la diversité des expériences francophones viserait plutôt à démonter les obstacles et défaire les hiérarchies. Nous aurions alors la chance de célébrer ensemble des transformations, des accomplissements, et ainsi maintenir les liens créés dans ces projets communs et solidifier une ouverture à l’autre déjà éprouvée dans des projets communs.
Célébrer, sensibiliser et éduquer ne pourront pas suffire : les limites à une Francophonie sont structurelles et héritées de sa construction.
Lors de sa création, l’ancêtre de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) répondait à la désagrégation de l’Empire français dans la foulée des indépendances des anciennes colonies.
Les ex-colonies visaient à établir une collaboration culturelle et technique pour s’appuyer dans leur développement. Tandis que la France s’opposait d’abord à cette nouvelle union, elle a rapidement décidé d’y prendre une place pour l’orienter à ses propres fins : conserver l’Afrique.
L’OIF sert ainsi de vecteur pour étendre l’influence française (ou encore canadienne) et pour assurer l’accès aux marchés africains, rôle au moins aussi important que celui de contrepouvoir et d’aide mutuelle.
Cette domination extérieure passe notamment par les politiques néocoloniales qui se déploient dans la Françafrique, cet ensemble de pays où la France tente de maintenir le contrôle nécessaire au fonctionnement économique de multinationales françaises.
La francophonie canadienne, quant à elle, s’est bâtie d’une part sur une politique menée par l’Église catholique, où la langue était entremêlée à la religion, aux origines ethniques et à un projet de colonisation par l’agriculture.
D’autre part, elle repose sur une politique d’immigration canadienne qui a longtemps empêché l’arrivée de francophones non blancs. Cette francophonie est par conséquent fortement balisée, comprise en relation à des frontières nationales et religieuses.
Ces structures sont en changement, certes, mais elles ne se déferont pas du jour au lendemain – et surtout pas dans l’ignorance de leur pérennité.
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La Francophonie, un terrain pour l’internationalisme
L’idéal internationaliste est une manière de contrer ces définitions nationales et frontalières de la francophonie, et de donner à celle-ci un contenu engageant.
On trouve cet idéal dans l’engagement de la militante et philosophe communiste Rosa Luxemburg.
Son refus de la politique belliciste à l’aube de la Première Guerre mondiale montrait comment la mise en avant des différences nationales servait à empêcher une transformation du régime économique tout en permettant le maintien des visées impériales.
À la solidarité que les dominants maintenaient entre eux, elle opposait la solidarité possible des classes ouvrières de tous les pays, qui pourraient ensemble transformer les structures économiques qui favorisaient leur exploitation.
Une autre version de cet idéal se trouve dans le panafricanisme, un mouvement social et politique ainsi que culturel et intellectuel qui rassemble les personnes africaines et afro-descendantes dans un projet où les frontières s’estompent.
Il peut s’agir tant d’unir les pays d’Afrique que de créer des réseaux qui permettent de lutter pour se libérer des séquelles de l’esclavage et du colonialisme et de participer aux institutions communes ainsi transformées.
Au Canada, dans un contexte colonial différent, l’internationalisme passe d’abord par une reconnaissance de l’implantation coloniale de la francophonie, puis celle des distinctions nationales et de l’autodétermination des peuples autochtones. De là, une position non paternaliste de solidarité et de collaboration devient possible.
S’inspirer de l’internationalisme
Ces visions internationalistes combinent la lutte contre l’impérialisme et le colonialisme, mais ont également en commun l’idée que les frontières nationales servent avant tout à diviser pour mieux régner.
L’internationalisme peut nous inspirer dans la création de réseaux, dans la transformation de nos organismes, mais également dans notre manière de mettre en valeur la langue française.
Il ne s’agit pas de lui attribuer une valeur en soi, de l’ériger en vecteur de survie de certaines cultures, mais plutôt de créer de nouveaux liens, à l’encontre de ces liens qui existent entre ceux qui maintiennent la domination entre les pays et au sein des communautés.
Le 15 mars, Francopresse est devenu le premier partenaire francophone au Canada à obtenir la Marque Trust de l’organisme The Trust Project, un consortium international d’organismes de presse qui fait la promotion des normes de transparence en journalisme. L’objectif est de permettre au public de faire des choix éclairés en matière d’information.
En d’autres termes, les politiques d’information de Francopresse ont été évaluées par un comité de pairs confirmant que notre média respecte les huit indicateurs de confiance [en anglais seulement] établis comme des normes mondiales de transparence. Ces indicateurs permettent au public de savoir ce qui se trouve derrière un article d’actualité, une analyse ou une chronique.
Vous avez le droit de savoir
Nous avons tous vu apparaitre dans nos circuits, bien malgré nous, des informations non vérifiées, des nouvelles incomplètes ou encore mal interprétées, de la réappropriation de textes ou encore des nouvelles modifiées. À un point tel que même les lecteurs les plus aguerris peuvent se faire prendre au piège.
De manière générale, les journalistes respectent un code de déontologie et les politiques d’information de leur média. Ce qui, depuis fort longtemps, confirme leur engagement envers une offre d’information rigoureuse et de qualité. Mais, toutes ces mesures n’ont pas empêché la désinformation de prendre plus de place.
Il fallait donc prendre les grands moyens!
Vous avez le droit de savoir ce que vous lisez. Est-ce un publireportage, un article, une chronique? Vous avez aussi le droit de savoir ce que ces termes signifient. Vous avez le droit de savoir si vous avez affaire à du contenu d’opinion, du contenu commandité ou du contenu journalistique. Vous avez aussi le droit de savoir qui a écrit une nouvelle, pour quelles raisons un texte a été publié et quelle a été la démarche de production.
Pour lutter contre la désinformation, nous nous devons plus que jamais d’être transparents.
Ceci est un éditorial
Par exemple, en ce moment, vous lisez un éditorial, c’est-à-dire un contenu qui représente le point de vue de Francopresse. En cliquant sur la signature du texte, en haut à gauche, vous avez accès à mon profil où vous y trouverez notamment mon parcours professionnel et mes coordonnées. Depuis le 15 mars 2023, tous les contenus publiés sur Francopresse.ca contiennent ces marques de transparence conformément aux indicateurs de confiance de Trust Project. Pourquoi? Parce que vous avez le droit de savoir.
Partout dans le monde plus de 250 médias sont partenaires de Trust Projec. Ils se conforment aux huit indicateurs de confiance et appliquent la Marque Trust.
Tous les sites Web de ces médias contiennent aussi des balises numériques, reconnues notamment par Google, Facebook et Bing, permettant d’identifier des informations fiables provenant de médias dignes de confiance pour leurs utilisateurs. Ils participent ainsi à la lutte à la désinformation.
Et les journaux membres de Réseau.Presse dans tout ça?
Francopresse est unique. Il œuvre en complémentarité et en étroite collaboration avec un réseau de journaux locaux qui desservent les populations francophones en situation minoritaire dans huit provinces et trois territoires.
Malgré leur enracinement profond et leur proximité avec leurs communautés respectives, ces journaux ont fait face à l’adversité et ont dû déployer des efforts additionnels pour se faire reconnaitre comme des médias à part entière et non des courroies de transmission. En 2017, tous les journaux membres de Réseau.Presse ont unanimement adopté la Charte de la presse francophone en situation minoritaire. Un texte qui définit clairement les grands principes journalistiques qui les guident.
Cette charte a servi de levier afin que les membres de Réseau.Presse adoptent leur propre guide de déontologie et poursuivent leur développement. Le résultat a été concluant : ces journaux locaux jouent un rôle essentiel dans l’essor, la vitalité et l’évolution des communautés qu’ils desservent.
La participation de Francopresse au Trust Project s’inscrit dans cette même foulée. Elle permettra aux journaux membres de notre réseau qui le souhaitent de franchir une nouvelle étape vers une relation de confiance accrue avec leur lectorat.
C’est en 1910, lors de la conférence internationale des femmes socialistes, que la militante féministe allemande Clara Zetkin propose pour la première fois la création d’une «Journée internationale des femmes».
S’ancrant dans les luttes ouvrières et les nombreuses manifestations de femmes qui agitent alors l’Europe et l’Amérique du Nord, et s’inscrivant dans une perspective révolutionnaire, Clara Zetkin revendique, entre autres, le droit de vote des femmes et la fin des discriminations au travail.
La date du 8 mars n’est pas encore choisie, mais l’objectif est défini : mobiliser les femmes du monde entier lors d’une même journée afin de faire valoir leurs droits. La proposition est approuvée à l’unanimité par les déléguées des 17 pays présents.
Quelques années plus tard, à la suite de la grève des ouvrières de Saint-Pétersbourg, en Russie, la date du 8 mars est finalement retenue.
Il faudra néanmoins encore attendre plusieurs décennies pour que la tradition prenne de l’ampleur.
Au Canada, l’évènement s’inscrit durablement dans les calendriers féministes à partir des années 1960, ce qui correspond à l’avènement du mouvement de libération des femmes.
Cette journée devient dès lors un moment collectif de réflexion et d’action pour les organismes de défense des droits des femmes – et non une nouvelle occasion de vendre rouges à lèvres, soins du visage et chandails à prix réduit, n’en déplaise à certains!
Une grève mondiale des femmes
Renouant avec les origines ouvrières du mouvement, de nombreux organismes appellent depuis plusieurs années les femmes du monde entier à la grève générale en cette date hautement symbolique.
Ainsi, le 8 mars 2018, inspirées par un mouvement similaire mené en Islande en 1975, des millions d’Espagnoles cessent de travailler. Elles sont bientôt suivies par des Argentines, des Suissesses, des Françaises, des Grecques, des Mexicaines… Partout dans le monde des rassemblements, parfois accompagnés d’arrêts de travail, mobilisent les femmes.
Leur mot d’ordre? «Si nous nous arrêtons, le monde s’arrête.»
Rien n’est plus vrai : les femmes constituent les deux tiers de la main-d’œuvre du secteur public, du secteur communautaire et des soins et services aux personnes.
Elles font tourner les restaurants, les commerces, les hôpitaux et les écoles, tout en assumant la majorité des tâches familiales et en s’occupant des enfants, des personnes âgées et des malades. Qu’elles arrêtent de travailler – qu’il s’agisse d’emplois rémunérés ou non –, et c’est l’ensemble de la société qui s’écroule.
Pourtant, les femmes continuent de subir au quotidien les violences sexistes et sexuelles, en plus des violences économiques que sont les bas salaires, les temps partiels contraints et les mauvaises conditions de travail, d’autant plus si elles sont racisées, porteuses d’un handicap ou immigrantes.
Elles endurent les inégalités structurelles et systémiques existantes causées par le patriarcat, le classisme, le racisme et le colonialisme, tant dans leur vie privée que dans la sphère publique.
Elles payent également le prix fort des crises sanitaire, économique et sociale : selon le rapport de 2022 du Forum économique mondial sur les inégalités femmes-hommes, les écarts ne cessent de se creuser en raison des perturbations causées par la pandémie et la faiblesse de la reprise, portant maintenant à 132 ans le temps nécessaire pour atteindre la parité dans le monde au rythme des efforts actuels.
Construire des solidarités
Ne serait-il pas temps de nous mettre en grève, nous aussi?
Le 8 mars, pour un jour seulement, refusons d’accomplir nos tâches domestiques, de nous occuper de nos familles et de nous rendre au travail.
Utilisons la grève pour bloquer cette société qui nous exploite. Pour refuser un monde qui exacerbe les inégalités et attise les discours haineux.
Construisons des alliances et des solidarités par-delà les frontières.
Réapproprions-nous les espaces publics et les discours.
Plutôt que des fleurs, offrons-nous du temps pour rêver ensemble à un avenir libéré de toute violence.
Julie Gillet est directrice du Regroupement féministe du Nouveau-Brunswick. Ses chroniques dans Francopresse reflètent son opinion personnelle et non celle de son employeur.
Le Canada, longtemps isolé par sa géographie, est rattrapé par le phénomène des migrations de masse qu’on observe en Europe et aux États-Unis depuis plusieurs années. Le nombre de demandeurs d’asile a quadruplé au Canada depuis 2016. Il y a eu près de 100 000 demandes d’asile déposées au pays en 2022.
Le profil des demandeurs d’asile a aussi beaucoup changé ces dernières années. Avant 2017, la plupart des demandes d’asile étaient effectuées dans le cadre des programmes réguliers du gouvernement qui permettent l’entrée d’un peu plus de 20 000 réfugiés par année. Ces réfugiés sont parrainés par le gouvernement fédéral, des organismes privés ou des familles.
Mais l’arrivée massive de réfugiés à la frontière terrestre en dehors des canaux réguliers d’immigration met à rude épreuve les capacités de tous les paliers de gouvernement à leur fournir des ressources et des services adéquats.
Maintenant que cette dynamique est enclenchée, il est peu probable qu’elle cesse d’elle-même, d’autant que ces migrants ont de bonnes raisons de vouloir fuir leur pays et de s’établir au Canada.
Les inégalités, moteurs des migrations
Les 50 % les plus pauvres de la population mondiale possèdent 2 % de la richesse globale. Le 1 % le plus riche possède à lui seul 38 % de la richesse globale. C’est un écart énorme… abyssal! Des études montrent que la migration internationale est étroitement associée à des possibilités d’évolution positive sur le plan économique.
En incluant les personnes déplacées par les guerres et les conflits, il y a plus de 100 millions de migrants dans le monde, et la plupart cherchent à atteindre les pays occidentaux quand ils le peuvent.
En 2022, les demandeurs d’asile arrivés au Canada par les voies irrégulières viennent majoritairement du Mexique, d’Haïti, de la Colombie, du Venezuela, de la Turquie et du Nigéria.
Ces pays ont tous la particularité de présenter des inégalités de revenus extrêmes.
C’est pourquoi, même parmi les pays les plus riches de ce groupe – le Mexique, la Colombie ou la Turquie, par exemple –, on retrouve des populations marginalisées politiquement et économiquement qui vivent dans la pauvreté. On pense ici aux travailleurs non qualifiés mexicains, aux afrodescendants colombiens ou aux Kurdes de Turquie.
La situation économique est encore pire dans les autres pays qui forment le peloton de tête des nationalités des migrants irréguliers au Canada en 2022.
Haïti est un des pays les plus pauvres de la planète. Le Venezuela est dirigé par un gouvernement autoritaire et cleptocrate qui a appauvri sa population. Le Nigéria, aux prises avec une inflation galopante et un boum de sa population, compte des dizaines de millions de personnes qui vivent dans l’extrême pauvreté.
Contrairement à la croyance populaire, ces inégalités de revenus extrêmes et la pauvreté ne sont pas un fait naturel et immuable.Les inégalités de revenu et de richesse se sont accrues presque partout depuis les années 1980 à la suite d’une série de programmes de dérèglementation et de libéralisation qui ont pris des formes différentes selon les pays.
Les pays riches ne parviendront pas à réduire les migrations des personnes les plus vulnérables sans transformer radicalement le cadre financier international qui freine le développement des pays les plus pauvres.
Il existe pourtant des solutions même si elles ne sont pas simples : on pense ici à la taxation des profits des multinationales, l’encadrement des paradis fiscaux ou le financement de l’éducation.
Un marché de l’emploi prêt à accueillir les migrants
L’autre côté de la médaille, c’est que les migrants sont encouragés à venir au Canada parce qu’ils trouvent des emplois chez nous. Le taux de chômage est à un plancher record : 3,9 % au Québec et 5 % à l’échelle du Canada.
Partout les employeurs cherchent de la main-d’œuvre, en particulier dans le secteur manufacturier, de l’agriculture ou des services. Bref, des emplois au bas de l’échelle que les travailleurs immigrants non qualifiés occupent, avec ou sans permis de travail.
En théorie, les personnes qui demandent le statut de réfugié se voient remettre un permis de travail le temps que leur demande d’asile soit étudiée par le gouvernement.
Mais le nombre record de personnes qui déposent une telle demande en ce moment fait dérailler le système. Les demandeurs doivent attendre plusieurs mois, voire plus d’un an, avant de recevoir un permis de travail. Cette situation a notamment pour conséquence de les pousser à travailler au noir dans des conditions souvent dangereuses.
À partir du moment où la route migratoire existe et où les conditions économiques sont propices à l’international comme chez nous, il serait illusoire de penser que le nombre d’immigrants irréguliers qui se présentent à la frontière canadienne diminuera.
La solution à long terme au phénomène des migrations de masse, au Canada comme ailleurs, passe par une amélioration des conditions de vie des personnes les plus pauvres à l’échelle du globe.
Notice biographique
David Dagenais est journaliste économique indépendant et entrepreneur. Auparavant, il a été journaliste à Radio-Canada après avoir achevé des études supérieures en économie politique à l’UQAM et à l’Université d’Ottawa.
Le projet de loi C-13 parrainé par la ministre libérale fédérale Ginette Petitpas-Taylor, qui vise à moderniser la Loi sur les langues officielles, comporte plusieurs avancées significatives pour les francophones de l’extérieur du Québec. L’aboutissement de cette réforme, entamée en 2018, est attendu avec impatience depuis plusieurs années.
Au cours des dernières semaines, nous avons assisté à des scènes rarissimes lors desquelles des députés libéraux montréalais, notamment Marc Garneau, Emmanuella Lambropoulos et Anthony Housefather, ont remis en question publiquement le projet de loi, issu de leur gouvernement, au nom de la protection de la minorité anglophone du Québec.
Ces élus en ont particulièrement contre la reconnaissance au sein d’une loi fédérale de la Charte de la langue française du Québec qui fait du français la seule langue officielle de cette province.
À noter qu’il ne s’agit pas de la seule référence à une législation provinciale dans le projet de loi C-13. Ce dernier reconnait également l’égalité de statut entre les communautés linguistiques française et anglaise du Nouveau-Brunswick.
Désinformation et exagération
Les trois députés dissidents n’hésitent d’ailleurs pas à faire dans la désinformation et l’exagération dans leur tentative de torpiller C-13.
Dans un texte publié sur son site Web le 16 février, Marc Garneau justifie ses positions en citant, entre autres, une proposition d’amendement du Bloc Québécois voulant qu’en cas de conflit entre la loi fédérale et la Charte québécoise de la langue française, cette dernière prévale.
Or, le 7 février, le président du Comité des langues officielles a jugé cette proposition d’amendement irrecevable au motif qu’elle dépassait la portée du projet de loi.
Pour sa part, Emmanuella Lambropoulos a fait référence à une grand-mère de sa circonscription qui n’aurait pas été en mesure d’être servie en anglais par un médecin bilingue de Montréal. Cette histoire ne tient pas la route, car la législation québécoise stipule clairement qu’il est possible de recevoir des services de santé dans la langue de son choix.
Pas une surprise
Ces députés dissidents ont pourtant fait campagne en 2021 sous la bannière d’un parti qui reconnaissait le statut asymétrique du français et de l’anglais au Canada.
Le discours du trône de 2020 souligne la situation particulière du français au Canada et «la responsabilité [du gouvernement] de protéger et de promouvoir le français non seulement à l’extérieur du Québec, mais également au Québec». Ce passage a d’ailleurs été repris dans la plateforme électorale du Parti libéral l’année suivante.
De plus, la première mouture de la modernisation de la Loi sur les langues officielles, le projet de loi C-32, contenait aussi une mention à la Charte de la langue française du Québec. Il est mort au feuilleton au moment du déclenchement des élections générales de 2021.
Alors, pourquoi cette campagne de dénigrement du projet de loi C-13? Les personnes qui ont fait le choix de se présenter dans l’équipe libérale fédérale l’ont fait en connaissance de cause. Si elles n’étaient pas à l’aise avec le contenu de la plateforme électorale et les engagements de leur parti, elles auraient pu laisser leur place à quelqu’un d’autre.
Union ou désunion?
Après plusieurs jours mouvementés mettant en lumière des divisions dans les rangs libéraux, le mot d’ordre semblait être le retour à l’unité.
Après une réunion du caucus provincial le 8 février, le lieutenant du gouvernement fédéral pour le Québec, Pablo Rodriguez, a affirmé que l’ensemble des membres s’en allaient désormais «dans la même direction», c’est-à-dire vers l’adoption du projet de loi C-13.
Toutefois, quelques jours après cette déclaration, le ministre Marc Miller a indiqué qu’il ne savait pas s’il voterait en faveur du projet, faisant fi du principe de solidarité ministérielle.
Ce principe veut que les membres du cabinet, une fois au courant d’une politique du gouvernement, doivent la défendre ou, à tout du moins, ne pas la remettre en cause, et bien entendu, voter en faveur de celle-ci. La solution pour un ministre qui souhaite aller à l’encontre de son gouvernement est la démission.
À la suite des déclarations ambigües de son ministre Miller, Justin Trudeau a d’ailleurs confirmé que le vote sur le projet C-13 ne dérogera pas à ce principe, et que tous les ministres devront voter en faveur.
Le simple fait que le premier ministre ait eu à rappeler aux membres de son cabinet qu’ils doivent appuyer un projet de loi gouvernemental est symbolique de la division interne chez les libéraux.
Un besoin de leadeurship de la part des élus francophones
Au cours des dernières semaines, des députés montréalais du « West Island » ont recentré les discussions autour du projet de loi C-13 en fonction de leurs préoccupations.
Pendant ce temps, les réalités des communautés francophones de l’extérieur du Québec sont reléguées au second plan. Ce sont pourtant ces communautés qui, depuis cinq ans, travaillent de pair avec le gouvernement pour en arriver à ce projet de réforme ambitieux.
Il est temps d’envoyer un message d’unité au sujet du projet de loi C-13. Il y a quelques semaines, sur Twitter, le député franco-ontarien Francis Drouin a dénoncé, à juste titre, «le show de boucane» de ses collègues.
Pour sa part, le député libéral acadien Serge Cormier, en entretien avec l’Acadie Nouvelle, a dénoncé les «petits jeux politiques» et l’obstruction de la part des députés de tous les partis, y compris du sien.
Toutefois, d’autres élus, comme la Franco-ontarienne et présidente du Conseil du Trésor Mona Fortier, sont plus hésitants dans leur appui. Interpelée par une journaliste de Francopresse sur le sujet au début février, la ministre Fortier n’a pas clairement appuyé le projet de loi de sa collègue aux Langues officielles.
Le caucus libéral compte près d’une quinzaine de députés francophones de l’extérieur du Québec. Plusieurs occupent des postes influents, tels les ministres Dominic LeBlanc du Nouveau-Brunswick, Dan Vandal du Manitoba et Randy Boissonnault de l’Alberta.
Qui plus est, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, est l’ancienne titulaire du dossier des langues officielles.
Tous ces élus devraient se rallier publiquement et sans équivoque autour de leur collègue Ginette Petitpas-Taylor et de sa réforme pour envoyer un message d’unité et rappeler l’importance de C-13 pour l’avenir des communautés francophones d’un bout à l’autre du pays.
Guillaume Deschênes-Thériault est doctorant en science politique à l’Université d’Ottawa. Il détient un baccalauréat de l’Université de Moncton et une maitrise de l’Université d’Ottawa. Dans le cadre de ses recherches, il s’intéresse aux communautés francophones en situation minoritaire, avec un intérêt particulier pour l’enjeu de l’immigration. Depuis mai 2021, il est conseiller à la municipalité de Kedgwick au Nouveau-Brunswick.