On m’a expliqué que dans ma province d’adoption, le système des écoles catholiques avait une relation de longue date avec la communauté linguistique minoritaire, alors que les écoles publiques avaient longtemps été associées à la majorité anglo-protestante. Et que c’était seulement durant les années 1980 que les premières écoles élémentaires publiques de langue française avaient vu le jour. Bref, le système scolaire public était plutôt nouveau pour les parents franco-ontariens.
C’était un choc culturel pour moi qui venais du Nouveau-Brunswick, où il n’y avait pas d’écoles explicitement catholiques. Je ne savais trop que penser de ces écoles confessionnelles.
Des différences qui découlent de la constitution de 1867
Mes manuels d’histoire canadienne m’avaient pourtant expliqué l’origine de cette asymétrie incongrue entre provinces. Elle est le résultat d’une entente de dernière minute à laquelle on est arrivés lors de la «Conférence de Londres» de 1866, où ont été tenues les dernières négociations pour la création de la Confédération canadienne, le 1er juillet 1867.
Des délégués catholiques de toutes les colonies avaient voulu inclure une clause qui garantirait des écoles catholiques en dehors du Québec, pour agir comme miroir à une clause prévoyant un système scolaire distinct pour la minorité (anglo) protestante du Québec.
Ces législateurs ont réussi, mais la formulation adoptée a fait en sorte que les colonies maritimes ont pu se soustraire à cette obligation. En effet, la loi constitutionnelle faisait de l’éducation un domaine quasi exclusif aux provinces, et prévoyait une protection pour les écoles de la minorité religieuse seulement si elles étaient «légalement constituées» au moment de la Confédération. Avoir reçu du soutien gouvernemental par le passé ne suffisait pas.
Au Nouveau-Brunswick, les Acadiens et les Irlandais ont réagi avec colère à la «Loi sur les écoles communes» provinciale de 1871, qui leur refusait un droit accordé aux minorités religieuses du Québec et de l’Ontario. Quatre années de luttes obstinées et parfois violentes ont débouché sur un «compromis» : on permettrait au personnel religieux d’enseigner dans les écoles, et on consentirait à l’enseignement du catéchisme catholique dans les écoles, mais seulement après les heures de classe. Toutefois, les écoles demeureraient non-confessionnelles.
À lire ce brin d’histoire politique, on pourrait croire que l’expérience scolaire acadienne a été très différente, historiquement parlant, de celle de leurs cousins francophones du reste du pays. Et c’est en partie vrai ; c’est ce qui explique le léger malaise que j’ai d’abord ressenti devant les écoles confessionnelles ontariennes.
Toutefois, en pensant à ma propre expérience, je me suis rendu compte que si cette différence existait bel et bien en théorie, pendant très longtemps, ça ne changeait pas grand-chose en pratique.
Des écoles acadiennes quasiment catholiques malgré tout?
Dans le système supposément public de ma province natale, j’ai fréquenté durant les années 1980 des écoles nommées «Sacré-Cœur-de-Marie» et «Monseigneur-François-Bourgeois, où on avait un cours de catéchèse et où on nous préparait pour nos sacrements. C’était ça, des écoles «non confessionnelles»?
Pour expliquer cette différence entre la théorie et la pratique, les manuels d’histoire – même ceux consacrés à l’Acadie – ne sont plus d’aucun secours. On y parle des luttes interminables pour franciser les écoles des communautés acadiennes – qui sont évidemment très importantes – mais on y discute peu des rôles que l’Église catholique a pu jouer après 1875, malgré la loi sur les écoles communes. Pour les membres des générations nées après 1960, le meilleur moyen de comprendre ceci, c’est de parler aux gens qui ont vu le système évoluer.
Je me suis donc tourné vers Hector Cormier, de Moncton, et Marcel Henrie, de Saint-Paul-de-Kent, nés respectivement en 1936 et 1934. Ces deux anciens enseignants ont tous les deux connu la sphère de l’éducation en Acadie du 20e siècle sous toutes leurs coutures (bon, sauf les couvents, bien sûr).
Lors de notre entretien, Hector a tôt fait d’illustrer à quel point le «système» scolaire néobrunswickois, avant les réformes importantes des années 1960 et 1970, était différent de celui d’aujourd’hui :
«Dans les villes, les écoles françaises qui existaient avant les années 1960 étaient des écoles paroissiales. On pouvait y suivre de la 1re à la 8e année de scolarité. […] Elles étaient financées à même les revenus des paroisses. Dans ces écoles, les institutrices, et les concierges, je crois, étaient payées par la commission scolaire [du comté], mais c’était à peu près le seul lien qui existait entre elle et l’école. Les écoles faisaient leur propre embauche, mais la commission payait les salaires. La construction de l’édifice était la responsabilité de la paroisse. Son entretien aussi.»
Une partie de mon mystère était élucidé : voilà donc d’où venaient tous ces noms d’école à connotation religieuse! Ces établissements avaient jadis été des «écoles paroissiales »! Mais comment diable (oups, pardon!) en est-on arrivés à avoir de tels établissements dans un système d’écoles «communes et non confessionnelles»?
Un «système» formé par une longue suite d’accommodements
En discutant avec Hector, je me rends compte que le «compromis» de 1875 n’a pas été un évènement unique, mais plutôt le début d’une longue série d’accommodements entre la majorité et la minorité :
«Les conseils scolaires [dans les villes] étaient peu préoccupés par les besoins des Acadiens. Alors généralement, leur message, c’était que si les Acadiens ne voulaient pas assumer les couts d’un édifice, ils n’avaient qu’à envoyer leurs enfants dans les écoles publiques, qui étaient, bien entendu, des foyers d’anglicisation.»
Les Acadiens ont préféré créer des «écoles paroissiales» – quitte à se les payer – parce que les écoles communes étaient trop assimilatrices. Et la seule institution collective qui pouvait leur permettre de faire ceci était l’Église.
Marcel Henri m’a expliqué que des écoles paroissiales ont aussi été créées dans des régions rurales majoritairement francophones, mais pour une autre raison : les comtés francophones n’avaient simplement pas suffisamment d’argent pour construire les écoles requises.
Voilà comment on est arrivés aux écoles «semi-catholiques» que j’ai connues durant les années 1980 au Nouveau-Brunswick!
Depuis cette époque, graduellement, les instances publiques – les comtés, puis la province – se sont mises à assumer tous les couts de toutes les écoles francophones, à l’élémentaire d’abord, puis au secondaire. Mais l’empreinte laissée par l’Église sur l’école acadienne est demeurée longtemps.
C’est seulement à la fin des années 1980, à la suite d’une plainte déposée par un couple de confession juive à Moncton, que le ministère a émis de nouvelles directives pour interdire tout enseignement religieux dans les écoles. En Ontario, on tente plutôt de rendre le droit aux écoles catholiques compatible avec les droits humains individuels. Si bien qu’aujourd’hui, les jeunes francophones du Nouveau-Brunswick vivent effectivement une expérience scolaire bien différente de celle de la majorité des petits Franco-Ontariens.
Pour combien de temps encore?
Joel Belliveau est un historien et politologue d’origine acadienne qui verse dans l’écriture et la consultation depuis l’implosion de l’université où il travaillait jusqu’en 2021. Il est également chercheur en résidence au Centre de recherche en civilisation canadienne-française de l’Université d’Ottawa.