«En sociolinguistique […] on observe des tendances et on essaie de voir de quelle façon le contexte social, les interactions sociales, les identités sociales influencent la langue ou de quelle façon la langue témoigne de ces patrons sociaux», explique Anne-José Villeneuve, professeure agrégée de linguistique française au Campus Saint-Jean, qui a supervisé le travail de recherche de David Rosychuk.

David Rosychuk, étudiant au Campus Saint-Jean.
Peu d’études sur le français albertain s’attardent à la morphosyntaxe, la grammaire et la structure de la phrase. David Rosychuk a utilisé des entrevues réalisées en 1976 et au début des années 2000 à Falher et à Bonnyville, afin de comparer le français parlé en Alberta à celui d’autres régions francophones du pays. Ces deux villes comptent la plus grande concentration de francophones en Alberta. Falher est même majoritairement francophone, du moins elle l’était lors des recensements faits dans les années 1970 et au début du 21e siècle, tandis que Bonnyville est une région francophone minoritaire importante.
Après l’analyse de ces entrevues, à partir de trois variables précises, David Rosychuk a été en mesure de conclure que les Franco-Albertains ont un français semblable au français parlé au Québec. «Ce sont toutes deux des variétés laurentiennes du français et il y a des similarités maintenant confirmées avec une étude quantitative. En général, la région de Falher a un français plus proche de celui du Québec, probablement car c’est une région majoritaire, alors que Bonnyville a un français plus similaire au français ontarien», explique-t-il.
Le français laurentien
Variété de la langue française principalement parlée au Québec, ayant pris naissance dans la vallée du Saint-Laurent pour ensuite gagner l’Ouest canadien.
Le français du dimanche

Anne-José Villeneuve, professeure agrégée de linguistique française au Campus Saint-Jean et professeure associée au Département de linguistique de l’Université de l’Alberta.
Les chercheurs notent que les locuteurs ont tendance à utiliser davantage le «français du dimanche» en situation minoritaire, c’est-à-dire un français plus soutenu, car ils parlent français dans des contextes plus formels comme à l’école ou au travail. Lorsqu’ils emploient le français au quotidien, les Albertains ont un parler plus détendu, moins soumis à la forme. Ils semblent moins se soucier de la grammaire et de la structure des phrases.
«Les locuteurs étudiés à Falher se comportaient davantage comme des francophones non restreints ou majoritaires qui utilisent le français dans beaucoup de contextes de leur vie quotidienne contrairement aux francophones de Bonnyville qui se comportaient un peu plus comme des francophones un peu plus restreints», conclut Mme Villeneuve.
Un français plus conservateur?
L’étude démontre aussi que le français albertain semble évoluer différemment du français dans l’est du pays. Certains phénomènes linguistiques semblent peu changer en Alberta à travers le temps. David Rosychuk émet quelques hypothèses pour expliquer cette tendance. «Il se peut que le français évolue ici, mais à un rythme plus lent. Ça fait peut-être partie de l’environnement plus conservateur de l’Alberta ou est-ce que c’est parce qu’il y a moins de francophones donc moins d’opportunités de changement au niveau de la langue?»
David Rosychuk croit qu’il faut faire davantage d’études sur le français albertain afin de dresser un portrait plus élaboré de la situation et pour voir si le français a changé depuis le début du siècle. «J’ai étudié trois phénomènes linguistiques qui se passent en français albertain. C’est clair qu’il y a plus de phénomènes linguistiques et plus de régions à explorer. Ça vaut la peine d’étudier le français en Alberta.»