le Mardi 28 mars 2023
le Mardi 10 novembre 2020 13:45 | mis à jour le 18 août 2022 11:41 Actualité

Se souvenir de quoi?

«Une journée pour les vétérans est en fait une glorification du métier de soldat et, par extension, de la guerre», écrit notre chroniqueur Réjean Grenier. — Chris Sansbury – Unsplash
«Une journée pour les vétérans est en fait une glorification du métier de soldat et, par extension, de la guerre», écrit notre chroniqueur Réjean Grenier.
Chris Sansbury – Unsplash
FRANCOPRESSE – Comme tous les ans depuis 1931, le Canada marquera le 11 novembre le jour du Souvenir. Cette année, les cérémonies devront composer avec la pandémie — masques et distanciation physique — mais elles continueront la tradition de reconnaitre le sacrifice ultime des soldats canadiens morts sur les champs de bataille depuis 1914.
Se souvenir de quoi?
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Ayant atteint l’âge adulte à l’ère du «peace and love», j’ai toujours eu un rapport ambivalent à cette journée. En tentant ici d’expliquer cette ambivalence, je sais bien — métaphore militaire oblige — que j’entre dans un champ de mines. Mais je sais aussi que mon sentiment est partagé.

Il faut tout d’abord convenir qu’il est tout à fait de mise de se souvenir de ces hommes et femmes qui ont défendu nos valeurs face aux rêves de domination de mégalomanes. Mais si on se rappelle la fameuse citation de Tony Benn, ancien politicien britannique membre du Parti travailliste ayant déclaré que «la guerre n’est que l’ultime échec de la diplomatie», on comprend bien que ces soldats morts au combat ont en fait été sacrifiés par des dirigeants incapables.

Leur sacrifice nous apparait alors encore plus triste et abominable. Et il faut s’en souvenir.

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Un jour de réflexion

Il faut aussi comprendre le nom de cette commémoration : au Canada, ça s’appelle le jour du Souvenir. La distinction avec le «Veterans’ Day» américain est importante.

Une journée pour les vétérans est en fait une glorification du métier de soldat et, par extension, de la guerre.

— Réjean Grenier, chroniqueur Francopresse

En opposition, un jour de souvenirs devrait avoir un sens beaucoup plus vaste. C’est un jour de réflexion, non seulement au sujet de soldats disparus, mais également de toutes les horreurs de la guerre : plus de deux-cent-millions de morts autant civils que militaires juste au 20e siècle, déplacements de populations entières, famines et autres barbaries sans nom.

Voilà ce que jour du Souvenir devrait vouloir dire. Mais quand on voit comment se déroulent traditionnellement nos commémorations canadiennes, on voit bien que ce qui compte, c’est presque uniquement le militarisme.

Rêver mieux

Nos politiciens déposeront des couronnes de fleurs au pied de nos monuments aux soldats inconnus ; nous porterons tous de jolis coquelicots rouges qui sont en fait une collecte de fonds pour un organisme de vétérans et militaires actifs ; nous réciterons le fameux poème In Flanders Fields du lieutenant-colonel canadien John McCrae qui, tout en déplorant les soldats morts, continue de faire l’éloge de la guerre : «Take up our quarrel with the foe (Reprenez notre combat contre l’ennemi)».

Pas beaucoup de réflexion sur les horreurs de la guerre là-dedans.

Pour ma part, je rêve d’un jour du Souvenir durant lequel nos politiciens parleront de transformer notre armée en une force de Casques bleus, en militaires qui vont déneiger Toronto après la tempête du siècle, en régiments qui aideront les victimes civiles de la guerre plutôt que de déchiqueter d’autre chair à canon.

— Réjean Grenier, chroniqueur Francopresse

Je continue d’imaginer des politiciens qui se tiennent debout devant les fabricants d’armes plutôt que de sucer leurs dons pour financer leurs campagnes électorales. Je sais, je suis naïf et j’exagère surement.

Mais je reste ambivalent quant à la forme que prennent nos commémorations lors du jour du Souvenir, un jour qui devrait pourtant être sacré.