le Vendredi 31 mars 2023
le Mercredi 11 octobre 2017 20:00 Actualité

Une Acadienne homosexuelle a vécu l’enfer dans les Forces armées

Baie-Sainte-Anne, 29 septembre 2017 – Diane Doiron pendant son entraînement de base.  — Photo gracieuseté: Diane Doiron
Baie-Sainte-Anne, 29 septembre 2017 – Diane Doiron pendant son entraînement de base.
Photo gracieuseté: Diane Doiron
Trente ans après avoir quitté la Marine royale canadienne, Diane Doiron lève le voile sur son expérience en tant qu’homosexuelle dans les Forces canadiennes dans les années 1980. Diane Doiron a grandi dans une famille de militaires de Pointe-Sapin, une petite communauté du nord de Kent. Elle est la petite-fille d’un vétéran de la Seconde Guerre mondiale. Son oncle a été sur la ligne de front lors de la guerre de Corée et son cousin a servi dans les Forces aériennes. Quand elle n’avait que 10 ans, elle a vu son frère âgé de 18 ans s’enrôler dans les Forces armées. Elle rêvait d’être comme lui. À l’adolescence, elle a rejoint les cadets de l’air. Dès qu’elle l’a pu, elle s’est engagée dans la Marine royale canadienne.
Une Acadienne homosexuelle a vécu l’enfer dans les Forces armées
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Diane Doiron a grandi dans une famille de militaires de Pointe-Sapin, une petite communauté du nord de Kent. Elle est la petite-fille d’un vétéran de la Seconde Guerre mondiale. Son oncle a été sur la ligne de front lors de la guerre de Corée et son cousin a servi dans les Forces aériennes.

Quand elle n’avait que 10 ans, elle a vu son frère âgé de 18 ans s’enrôler dans les Forces armées. Elle rêvait d’être comme lui. À l’adolescence, elle a rejoint les cadets de l’air. Dès qu’elle l’a pu, elle s’est engagée dans la Marine royale canadienne.

Pendant ses six mois d’entraînement de base, elle flottait sur un nuage. Elle raconte qu’elle était la meilleure de sa classe, qu’elle réagissait bien aux ordres de ses supérieurs et qu’elle repoussait ses limites comme elle souhaitait le faire depuis longtemps.

Durant les dernières semaines de l’entraînement, cependant, elle a décelé les premiers indices comme quoi elle n’était pas bienvenue dans les forces en tant que lesbienne.

« Un de mes commandants m’a dit de faire attention dans ma nouvelle base, que les supérieurs venaient de mener une chasse aux sorcières et avaient expulsé cinq femmes parce qu’elles étaient lesbiennes. Elles avaient été jugées comme étant un risque à la sécurité des forces militaires. »

« J’étais peut-être naïve, mais je ne pensais pas que ça m’arriverait, parce que j’étais la meilleure de ma classe et j’allais être la meilleure à mon poste. »

Une fois à sa nouvelle base, en Nouvelle-Écosse, elle a entamé sa carrière militaire. Ne souhaitant pas attirer l’attention, elle est rentrée « dans sa coquille ». Elle passait son temps libre dans la salle de conditionnement physique ou dans les sentiers environnants avec sa caméra afin d’assouvir sa passion pour la photographie.

Sans qu’elle le sache, son comportement avait éveillé des soupçons dans sa brigade. Un matin, alors qu’elle terminait un quart de travail de nuit et se dirigeait vers la cafétéria pour déjeuner, on lui a demandé de se rendre dans les bureaux de la police militaire.

« Ils m’ont assis à une petite table avec deux hommes l’autre côté. J’étais fatiguée et j’avais faim. Ils regardaient dans leurs papiers et ils parlaient entre eux. Ils m’ont demandé : “sais-tu ce qu’est un homosexuel ?”, et j’ai répondu oui. Ils m’ont demandé d’expliquer ce qu’est un homosexuel. Ensuite ils m’ont demandé si j’étais lesbienne, et j’ai répondu “non”. Après, ils m’ont demandé pourquoi je faisais beaucoup de sports, pourquoi je me tenais surtout avec des filles, et pourquoi je n’avais pas d’ami de cœur. Puis, le ton des échanges a monté. Ils disaient qu’on m’avait vu aller dans ma chambre avec une femme. Ils disaient que j’avais été dans un bar gai. Ils poussaient et ils poussaient. »

Les 18 mois suivants, Mme Doiron dit avoir traversé l’enfer. Périodiquement, elle a dû faire face à l’unité des enquêtes spéciales. Son niveau d’anxiété ne faisait qu’augmenter.

« Il y avait une peur que tu ne peux pas imaginer. J’étais traitée comme un criminel, comme un espion. Je me sentais comme une déviante sexuelle. Là, tu retournes dans ton coin et tu penses : “il n’y a vraiment personne qui peut m’aider”. Tu te sens comme un prisonnier de guerre. Ils peuvent te faire ce qu’ils veulent, quand ils veulent. »

Le début de la fin de l’aventure de Mme Doiron dans la Marine royale a eu lieu lors d’un interrogatoire serré, presque deux ans après son enrôlement. Son supérieur est entré dans la salle et a interrompu l’examen. Il a demandé aux enquêteurs s’ils avaient une preuve que Mme Doiron était homosexuelle. Ils ont répondu que non. Il a dit à la femme de Pointe-Sapin de sortir, qu’elle avait fini pour la journée.

« À ce point-là, j’étais battue. Je pleurais, j’étais découragée et je souffrais d’anxiété. J’étais une personne blessée comme tu ne peux pas croire. J’étais brisée. Je n’en pouvais plus. »

Quelques jours plus tard, Mme Doiron a été admise dans un centre psychiatrique dans une base militaire de Halifax, où elle a été traitée pour son anxiété. Même durant cette phase, elle cachait le fait qu’elle soit lesbienne. Elle craignait d’être exclue des forces par cause d’indignité, et même de faire face à des accusations criminelles. Enfin, sans toucher la question de son orientation sexuelle, un psychiatre lui a permis de quitter les forces pour cause médicale.

Des séquelles pendant toute une vie

Le traitement des homosexuels dans les Forces militaires canadiennes a eu des conséquences graves. Certains ont sombré dans l’alcoolisme et d’autres ont été jusqu’à s’enlever la vie, explique Diane Doiron.

Pour échapper au mal qui la rongeait, elle s’est réfugiée dans le travail. Sa carrière professionnelle a pris son envol, mais sa vie personnelle et sociale battait de l’aile. Elle est devenue un bourreau de travail.

« Je ne pouvais pas retourner à Pointe-Sapin. J’avais trop honte. J’avais tellement de peine, car je n’avais pas le succès que mon frère a eu, ou celui de mon oncle ou de mon grand-père. J’ai donc essayé de me faire une vie à Halifax. »

« J’ai fait du mieux que je pouvais, mais ce n’était pas la meilleure chose. Je suis devenue une bourreau de travail, parce que je voulais prouver à tout le monde que j’étais bonne. J’ai eu une paye, une fois, qui indiquait que j’avais travaillé 112 heures en deux semaines. Je travaillais toujours. C’est tout ce que je faisais. »

L’énergie investie dans son travail lui a procuré des prix et des reconnaissances. Elle a travaillé comme photographe pour les journaux Chronical Herald de Halifax et Daily Gleaner de Fredericton. Elle a aussi été aide-chef de bureau des photographes au National Post de Toronto. Elle était cependant toujours loin d’être satisfaite.

« Ce n’était rien. Je montais toujours la barre. Ce n’était jamais assez. »

« Au niveau social… j’ai vécu 10 ans à Toronto et je ne suis jamais entrée dans un bar gai. J’ai peur à mort d’entrer, je ne sais pas pourquoi. J’ai fait des dépressions, des crises d’anxiété et j’ai pris des médicaments jusqu’à tout récemment. »

Encore aujourd’hui, Mme Doiron se tient occupée du matin au soir avec son emploi, divers projets et le bénévolat. Cela dit, depuis quelques mois, elle travaille à améliorer sa santé mentale.

Vers la guérison

Depuis l’arrivée d’internet et de Google, Mme Doiron effectue des recherches, environ deux fois par an, pour trouver des individus ayant traversé le même enfer qu’elle. Pendant longtemps, ses efforts ont été vains. En février, elle a découvert le site lgbtpurge.com d’un groupe qui dénonce la discrimination envers la communauté LGBT par les forces militaires, la GRC et le gouvernement fédéral jusqu’aux années 1990.

Elle a eu l’occasion de partager son histoire et de se sentir, pour la première fois, comme si elle n’est pas seule. Une collègue lui a appris qu’elle pouvait obtenir des services de soutien du ministère des Anciens Combattants.

Il y a une dizaine de jours, elle a décidé qu’elle ne voulait plus vivre dans le mensonge. Elle a rédigé un texte racontant son histoire et elle l’a partagée sur sa page Facebook. Le récit a été partagé plus de 150 fois.

« Après avoir écrit mon histoire, j’avais le doigt qui flottait sur mon clavier pour appuyer sur “publier”. J’avais les yeux fermés et j’ai pesé sur le bouton. »

« Je n’ai pas pu croire ce qui est arrivé après. Ç’a été lu par tellement de monde. Il y a beaucoup de monde qui m’a envoyé des courriels, et c’est tout positif. »

Mme Doiron était surtout inquiète de la réaction des idoles de son adolescence, soit son frère et son oncle.

Son frère s’est immédiatement rongé de son côté, appelant sa mère pour lui dire qu’il avait été touché par l’expérience de sa sœur.

Tout récemment lors d’un voyage de chasse, elle a abordé le sujet avec son oncle, un vétéran de la guerre de Corée âgé de 87 ans. Sa réaction l’a ému.

« Quand j’ai eu fini, il m’a pointé du doigt et il m’a dit “presse-les, et presse-les avec tout ce que tu as. Et après, rejoins la Légion”. Moi je n’ai jamais rejoint la Légion et je n’assiste pas aux cérémonies du jour du Souvenir, parce que je ne me sentais pas comme un soldat. Lui, il a vécu la guerre, donc quand il m’a dit ça, je me suis dit “OK, là je vais jusqu’au bout.” »

Le témoignage de Mme Doiron a déjà eu un impact positif sur d’autres personnes qui ont eu un parcours semblable. Au moins deux individus l’ont contacté pour dire qu’ils avaient aussi subi des interrogatoires visant à identifier les personnes homosexuelles dans les Forces armées. Elle les a inspirés à chercher de l’aide.

Le groupe LGBT Purge a lancé un recours collectif contre le gouvernement fédéral pour dénoncer les actions commises contre la communauté LGBT. Mme Doiron espère de voir le jour où il y aura des excuses officielles du premier ministre du Canada.