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le Mercredi 13 septembre 2017 20:00 Actualité

Des rentrées scolaires mouvementées

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 La cérémonie de première pelletée de terre sur le site du futur Centre scolaire et communautaire Sainte-Anne, à La Grand’Terre. La cérémonie a eu lieu le 31 mai 1984.  —  Photo : Archives du Gaboteur
La cérémonie de première pelletée de terre sur le site du futur Centre scolaire et communautaire Sainte-Anne, à La Grand’Terre. La cérémonie a eu lieu le 31 mai 1984.
Photo : Archives du Gaboteur
Ces jours-ci, espoir et inquiétude entourent l’ouverture d’une deuxième école francophone à St.Johns, la capitale de Terre-Neuve-et-Labrador. Mais de telles émotions ont marqué de nombreuses autres rentrées au cours des années, rappelle Le Gaboteur, le journal francophone de cette province, dans nouvelle chronique historique.
Des rentrées scolaires mouvementées
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Le boycott de l’école de La Grand’Terre en 1984

Traditionnellement, le système scolaire à Terre-Neuve a servi d’important outil pour l’assimilation des francophones. L’anglais demeure longtemps la seule langue d’instruction. Et on utilise des punitions pour décourager les élèves francophones de s’exprimer dans leur langue maternelle. C’est seulement au milieu des années 1970 que les choses commencent à changer.

Ainsi, l’école de Cap–Saint-Georges, sur la péninsule de Port-au-Port, offre le premier programme d’immersion à Terre-Neuve en 1975. (Le premier programme d’immersion française au Canada est offert à St-Lambert, au Québec, en 1965.)

À La Grand’Terre, l’enseignement du français dans les écoles débutera beaucoup plus tard, à la suite d’une bataille épique des parents dans les années 1980.

Le boycott de 1984

Dans le tout premier numéro du Gaboteur, publié le 5 octobre 1984, un article de Géraldine Barter décrit un boycott de l’école du village. « La commission scolaire de Port-au-Port refuse aux francophones de La Grand’Terre de bénéficier de leurs droits d’obtenir une école française, » explique la journaliste.

Contrairement aux ententes de principe conclues entre les parents et la commission, seulement un tiers des cours seraient offerts en français à l’école primaire lors de la rentrée 1984. Or, on s’attendait à un programme d’études offert entièrement en français, dans le cadre d’un programme d’immersion, ce qui ouvrirait la voie à l’ouverture d’une « école française proprement dite » en septembre 1985.

« La réaction des parents a été immédiate : ils gardaient leurs enfants à la maison jusqu’à ce que cette confusion soit dissipée. » On entame également des procédures judiciaires.

À court terme, les choses semblent aller dans la bonne direction. La ministre de l’Éducation, Lynn Verge, reconnaît publiquement le droit constitutionnel des francophones à une école de langue française. Et un comité est créé pour tenter de régler la question. Il est présidé par Robert Cormier, alors président de la Fédération des francophones de Terre-Neuve et du Labrador (FFTNL).

Dans le numéro suivant du journal, publié le 7 novembre, on apprend que les parents ont

avaient recommencé à envoyer leurs enfants à l’école, ayant compris qu’un programme où toutes les matières seraient enseignées en français était déjà en place. Ils avaient mis fin au boycott par volonté de « ne pas brusquer le professeur » et d’éviter tout retard dans sa mise en oeuvre.

La réalité est toutefois bien différente des promesses : seulement un tiers du programme sera enseigné en français. Et si la ministre de l’Éducation continue d’appuyer les revendications des parents de La Grand’Terre, elle hésite à s’ingérer dans les affaires de la commission scolaire.

« Les parents de La Grand’Terre, fatigués des caprices la commission scolaire, veulent voir des résultats. … [Ils] se sentent mal parce qu’ils voient que les négociations continuent à reculer au lieu d’avancer », explique Géraldine Barter dans Le Gaboteur.

Vers la fin de l’automne, les parents apprennent que la commission scolaire interdit à l’enseignante de la maternelle d’offrir un programme d’immersion qu’elle a toutefois dans les mains. On parle de renouveler le boycott.

Puis, en début 1985, on annonce une petite victoire : la commission scolaire annonce la mise en oeuvre du nouveau programme français dès le mois de janvier. On note également que les parents « continueront toutefois d’être vigilants afin de s’assurer de la pleine obtention de ce qu’ils veulent : une école française en permanence à La Grand’Terre. »

Vers une école francophone

Les parents, qui font leur mieux pour maintenir la pression sur la commission scolaire et le gouvernement, doivent encore attendre quelques années avant que leur vision se concrétise.

Mais la rentrée 1985 est quand même plus encourageante que celle de l’année précédente. C’est lors de l’assemblée annuelle de la FFTNL que le ministre de l’Éducation, Loyola Hearn, annonce la construction d’une école française à La Grand’Terre. On prévoit qu’elle sera prête pour accueillir des élèves dès la rentrée 1987.

En réalité, la construction commence seulement en printemps 1988. Et la « première école française pour la province » n’accueille ses premiers élèves qu’en hiver 1989.

Par ailleurs, Le Gaboteur du 15 mai 1987 annonce la signature d’un accord fédéral-provincial pour la construction d’un « centre communautaire et scolaire. » Puis le numéro du 5 juin parle longuement d’une cérémonie de première pelletée de terre qui aura lieu le 31 mai. Cette célébration se tiendra dans le cadre de l’inauguration du drapeau franco-terre-neuvien-et-labradorien, prévue pour la veille.

Ainsi, après des années de revendications et presque trois ans après le boycott de 1984, les parents de La Grand’Terre peuvent fêter une grande victoire, entourés de gens venus de partout dans la province pour accueillir un nouveau symbole de la francophonie provinciale.

L’Ouest du Labrador : un cas particulier

Le français prend pied dans les écoles de l’Ouest du Labrador très tôt, si on compare avec la situation sur l’île de Terre-Neuve.

En effet, les compagnies minières financent des classes en français dès la colonisation de cette région du Labrador dans les années 1960. Ce service est destiné à attirer et retenir les  nombreux employés de ces compagnies venus du Québec et des régions francophones du Nouveau-Brunswick.

Dans un article publié dans Le Gaboteur du 12 décembre 1984, Jean-Guy Labbé explique qu’on y enseignait les programmes scolaires du Québec, d’abord dans des écoles privées. En 1972, une entente signée entre les provinces de Terre-Neuve et du Québec permet l’intégration de ces classes au réseau public.

Des programmes en français sont offerts à Wabush de 1965 à 1967 et à Churchill Falls de 1966 à 1972. À Labrador City, les effectifs scolaires francophones diminuent à partir du milieu des années 1970.

Mais en 1984, la commission scolaire catholique locale offre toujours un enseignement en français de la maternelle à l’avant-dernière année du secondaire. Pour terminer leurs études secondaires, les élèves francophones doivent se rendre à Fermont, au Québec.

À la rentrée 1984, il y avait environ 50 élèves inscrits au primaire et 30 au secondaire. Des chiffres que monsieur Labbé décrit comme étant « très faible[s] ».

C’est également à cette époque que les compagnies minières se retirent du domaine de l’éducation. Leurs contributions financières, qui rendent possible l’enseignement en français dans la région, sont bientôt remplacées par celles du Secrétariat d’État du Canada.